roi et les ducs dont on avait escompté la générosité firent la sourde oreille. Au moment où Wagner est le plus inquiet du sort de son Tristan, qu’il ne sait à quel Opéra confier, il a encore l’idée de se tourner vers le roi de Hanovre, qu’on dit « libéral et magnifique dans sa passion d’art ». Le pauvre Georges IV, sur son trône déjà branlant et que bientôt le Prussien allait renverser, resta indifférent à la requête du musicien. À peine y eut-il un moment d’espoir avec le grand-duc de Bade, qui se montrait disposé à appeler l’auteur de Lohengrin auprès de lui. Mais son entourage le dissuada de donner suite à son projet en assurant que « ce fou ruinerait le pays ».
Après ces échecs répétés, Wagner passa de sombres heures dans la villa de Mariafeld. Il traversait des crises de colère, suivies d’accès de désespoir et de morne abattement. Tout ressort moral était brisé en lui. Il vécut de longs mois dans une a léthargie absolue », traînant « des journées pâles, sans âme », dégoûté de tout au monde. « Le poisson sur le sable de la rive est la parfaite image de ce que je suis », écrivait-il à Mathilde Wesendonk. Il avait renoncé au travail, convaincu de l’inutilité de l’effort. Il s’abîmait dans un pessimisme qui, cette fois, n’était plus une attitude ni une simple vue de l’esprit. Ou bien, avec amertume, il se raillait lui-même, comme le prouve cette épitaphe satirique qu’il rimait à son propre usage « Ci-gît Wagner qui jamais ne fut rien — pas même chevalier de l’ordre le plus gueux… »
Son amie, la bonne et intelligente Mme Wille, s’efforçait de remonter son courage. Elle croyait à l’étoile de Wagner. Elle avait foi dans la puissance de son génie. Et, plus maternelle qu’amoureuse, elle apaisait ses révoltes contre les affronts du sort. Ses touchants Souvenirs nous font voir à quelle détresse, Wagner était tombé à cette époque.