Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/45

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ception l’attendait. La réalité ne répondait pas à ce qu’il imaginait ni à ce que les idéologues lui avaient appris. La République idéale, est-ce cela ? Les citoyens de la nouvelle Sparte sont loin de partager son zèle pour la Révolution libératrice. Il trouve l’île divisée en clans et en factions. Tout de suite des notables comme Pozzo di Borgo et Peraldi, influents par leur nombreuse clientèle, auprès de qui les deux frères Bonaparte sont d’infimes personnages, se dressent contre lui. Il se heurte aux conservateurs, aux réactionnaires qui accueillent avec méfiance ou qui rejettent les idées de Paris, et ce sera bien pire quand la question religieuse s’en mêlera. De là résulte pour le politicien novice une conséquence décisive. Ayant embrassé le parti de la Révolution dans l’intérêt de la Corse, il ne peut, dans son île, combattre la contre-révolution sans se ranger parmi les patriotes et s’enrôler, à son insu, dans le parti français. Il est conduit, pour la même raison, à se réjouir comme d’une victoire sur les aristocrates du décret de la Constituante qui proclame la Corse partie intégrante du territoire et qui en fait deux départements pareils aux autres. Débarqué à Ajaccio avec les sentiments d’un autonomiste, sa doctrine, d’après laquelle il fallait être pour la Révolution parce que la Révolution délivrerait l’île de la tyrannie, le met du côté des unificateurs, c’est-à-dire du côté de la France. Il n’en sortira plus. À la fin, il se séparera de Paoli lui-même, parce que le défenseur de l’indépendance, son dieu, son héros, à qui la candeur des Constituants avait rouvert la Corse, voudra la livrer aux Anglais, considérant que le Français, avec la cocarde tricolore comme avec la cocarde blanche, est toujours l’ennemi.

Ainsi, ce furent surtout des déboires que Napoléon emporta de ses séjours successifs dans sa première patrie, jusqu’au moment où elle le rejeta tout à fait. Pourtant cette école lui fut encore utile.