Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/46

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Elle lui apprit la politique et les hommes, la ruse et l’action. Mêlé aux élections départementales où il pousse son frère Joseph, mêlé aux soulèvements qui éclatent dans l’île contre les administrateurs français, il se forme aux coups de main, à l’intrigue et au mépris de la légalité. Il acquiert une expérience précoce et perd à chaque pas quelques illusions sur les hommes. Il a encore le feu de l’enthousiasme lorsqu’il rédige sa Lettre à Buttafuoco où il couvre d’injures emphatiques ce député de la noblesse aux Etats-Généraux, ce traître qui cherche à mettre l’Assemblée en garde contre l’héroïque Paoli. La municipalité d’Ajaccio accorda à la lettre vengeresse les honneurs de la publication et l’infatigable noircisseur de papier eut la joie de se voir imprimé. Mais Paoli accueillit froidement la brochure et Bonaparte, qui a fait traîner son congé, repart pour la France avec cette légère mortification, premier nuage sur son enthousiasme. Malgré son dévouement, il est suspect aux paolistes à cause de l’uniforme qu’il porte et qui le rend trop Français pour eux.

Rentré à son régiment, il passe bientôt lieutenant en premier et il est envoyé à Valence. De Corse, il a ramené son frère Louis dont il surveillera les études. Et il reprend la vie de garnison, d’autant plus austère que la solde doit maintenant suffire à deux.

Des lectures toujours, et un griffonnage ardent. Ce jeune homme est-il un militaire, un politicien ou un littérateur ? Il est tout cela à la fois. En 1791, de la plume qui vient de rédiger pour Joseph des professions de foi électorales, il concourt pour le prix de l’académie de Lyon. Il y a douze cents livres à gagner et elles ne seraient pas superflues dans la gêne où il est, avec son jeune frère à sa charge. Le sujet proposé était aussi loin de l’artillerie que des querelles corses : Quelles vérités et quels sentiments il importe le plus d’inculquer aux