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PRÉFACE.


virent dans les songes, dans le vol des oiseaux, dans les entrailles des victimes, dans le mouvement de l’eau, dans les feuilles agitées du vent, dans le chant du coq, dans la main, dans les miroirs, et plus récemment dans les cartes, dans les rides du front, dans les traits du visage, dans les tubérosités du crâne, toutes les nuances du caractère de l’homme, ses pensées, les secrets impénétrables de son avenir, et se mirent à distribuer aux mortels les espérances et les craintes, les bonnes et les mauvaises destinées.

Il y eut des magiciens et des sorciers libres de tout système ; ils se vantaient de commercer avec les puissances invisibles et n’étaient le plus souvent que des imposteurs. À côté des sorciers qui se donnaient pour tels, l’ignorance et la peur en faisaient tous les jours qui ne l’étaient guère. Des mathématiciens, des artistes, des bateleurs passèrent pour sorciers.

La magie est très-ancienne. Plusieurs croient que Cham la pratiquait. On voit des magiciens à la cour de Pharaon. Circé, Médée, Amphiaraùs, Tirésias, Abaris, Trismégiste, Orphée se mêlaient de sorcellerie.

On a dit, après Boileau, Sainte-Foix et quelques autres, que les fables antiques étaient plus riantes que les modernes ; c’est inexact. Au contraire, nous n’avons de sombre dans nos superstitions que ce qui nous reste des époques de ténèbres antérieures à la venue N. S. Jésus-Christ. Les enchanteurs de la Table-Ronde, de l’ère de Charlemagne et des temps de la chevalerie, les fées et les lutins sont aussi gracieux que les fables antiques ; la reine Bazine n’est comparable en rien à l’affreuse Médée. On s’est récrié encore sur le fait exagéré des sorciers brûlés au seizième siècle. À l’exception de quelques juges imbéciles qui sont de tous les temps, si l’on veut étudier les documents historiques, on reconnaîtra que les sorciers mis à mort autrefois, chez nos pères, étaient des bandits que les lois actuelles condamneraient en d’autres termes. Platon, dans son Traité des Lois, veut qu’on chasse les magiciens de la société, après qu’on les aura sévèrement châtiés, non-seulement pour le mal qu’ils peuvent opérer par la vertu de leurs prétendus charmes, mais encore* pour le mal qu’ils voudraient faire. Dom Calmet, dont personne ne révoquera en doute la mansuétude, remarque fort bien que la magie, les impiétés et les maléfices sont généralement la suite des désordres de l’imagination, et que les gens qui s’y adonnent ne sont que des vauriens, des impudiques et des voleurs.

La superstition est une source d’erreurs ; et elle est d’autant plus dangereuse qu’elle cherche à se confondre avec la religion même. Il en résulte quelquefois que ceux qu’on éclaire sur de fausses croyances qui paraissent se rapporter de près ou de loin à des choses religieuses, sentent ensuite leur foi ébranlée dans les limites que la religion lui pose. La superstition produit le dualisme, ou croyance plus ou moins vicieuse de deux principes. Elle engendre le fatalisme dans ceux qui trouvent partout écrite une destinée inévitable. Elle est fille de la peur, et rend lâches et pusillanimes des cœurs qui ou bien t trop qu’ils sont sous la garde de Dieu. Les hommes superstitieux vivent dans l’effroi ; la nuit même ne leur donne pas le repos.

« Le sommeil fait oublier à l’esclave la sévérité de son maître et au malheureux prisonnier la pesanteur des fers dont il est garrotté ; l’inllammation d’une plaie, la