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contre ; le spectre s’approcha, le prit par le bras gauche et le conduisit à trente pas de là dans un lieu écarté. — « Je vous ai promis, lui dit-il, que si je mourais avant vous je viendrais vous le dire : je me suis noyé avant-hier dans la rivière, à Caen, vers cette heure-ci. J’étais à la promenade ; il faisait si chaud qu’il nous prit envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans l’eau et je coulai. L’abbé de Ménil-Jean, mon camarade, plongea ; je saisis son pied ; mais, soie qu’il crût que c’était un saumon, soit qu’il voulût promptement remonter sur l’eau, il secoua si rudement le jarret qu’il me donna un grand coup dans la poitrine et me jeta au fond de la rivière, qui est là très-profonde. » Desfontaines raconta ensuite à son ami beaucoup d’autres choses. Bézuel voulut l’embrasser, mais il ne trouva qu’une ombre. Cependant son bras était si fortement tenu qu’il en conserva une douleur. Il voyait continuellement le fantôme, un peu plus grand que de son vivant, à demi nu, portant entortillé dans ses cheveux blonds un écriteau où il ne pouvait lire que le mot in… Il avait le même son de voix ; il ne paraissait ni gai ni triste, mais dans une tranquillité parfaite. Il pria son ami survivant, quand son frère serait revenu, de le charger de dire certaines choses à son père et à sa mère ; il lui demanda de réciter pour lui les sept psaumes qu’il avait eus en pénitence le dimanche précédent et qu’il n’avait pas encore récités ; ensuite il s’éloigna en disant : jusqu’au revoir, qui était le terme ordinaire dont il se servait quand il quittait ses camarades. Cette apparition se renouvela plusieurs fois. Quelques-uns l’expliqueront par les pressentiments, la sympathie, etc. L’abbé Bézuel en raconta les détails dans un dîner, en 1708, devant l’abbé de Saint-Pierre, qui en fait une longue mention dans le tome IV de ses œuvres politiques.

Desforges (Pierre-Jean-Baptiste Choudard), né à Paris en 1746, auteur plus que frivole. Dans les Mille et un souvenirs, ou Veillées conjugales, livre immoral qu’on lui attribue, il raconte plusieurs histoires de spectres qui ont été reproduites par divers recueils.

Deshoulières. Madame Deshoulières étant allée passer quelques mois dans une terre, à quatre lieues de Paris, on lui permit de choisir la plus belle chambre du château ; mais on lui en interdisait une qu’un revenant visitait toutes les nuits. Depuis longtemps madame Deshoulières désirait voir des revenants ; et, malgré les représentations qu’on lui fit, elle se logea précisément dans la chambre infestée. La nuit venue, elle se mit au lit, prit un livre selon sa coutume ; et, sa lecture finie, elle éteignit sa lumière et s’endormit. Elle fut bientôt éveillée par un bruit qui se fit à la porte, laquelle se fermait mal ; on l’ouvrit, quelqu’un entra qui marchait assez fort. Elle parla d’un ton très-décidé ; car elle n’avait pas peur. On ne lui répondit point. L’esprit fit tomber un vieux paravent et lira les rideaux avec bruit. Elle harangua encore l’âme, qui, s’avançant toujours lentement et sans mot dire, passa dans la ruelle du lit, renversa le guéridon et s’appuya sur la couverture. Ce fut là que madame Deshoulières fit paraître toute sa fermeté. — « Ah ! dit-elle, je saurai qui vous êtes !… » Alors, étendant ses deux mains vers l’endroit où elle entendait le spectre, elle saisit deux oreilles velues qu’elle eut la constance de tenir jusqu’au matin. Aussitôt qu’il fut jour, les gens du château vinrent voir si elle n’était pas morte. Il se trouva que le prétendu revenant était un gros chien, qui trouvait plus commode de coucher dans cette chambre déserte que dans la basse-cour.

Despilliers. Le comte Despilliers le père, qui mourut avec le grade de maréchal de camp de l’empereur Charles VI, n’était encore que capitaine de cuirassiers lorsque, se trouvant en quartier d’hiver en Flandre, un de ses cavaliers vint un jour le prier de le changer de logement, disant que toutes les nuits il revenait dans sa chambre un esprit qui ne le laissait pas dormir. Despilliers se moqua de sa simplicité et le renvoya. Mais le militaire revint au bout de quelques jours et répéta la même prière ; il fut encore moqué. Enfin il revint une troisième fois et assura à son capitaine qu’il serait obligé de déserter si on ne le changeait pas de logis. Despilliers, qui connaissait cet homme pour bon soldat, lui dit en jurant : — « Je veux aller cette nuit coucher avec toi et voir ce qui en est. » Sur les dix heures du soir, le capitaine se rend au logis de son cavalier. Ayant mis ses pistolets armés sur la table, il se couche tout vêtu, son épée à côté de lui. Vers minuit il entend quelqu’un qui entre dans la chambre, qui, en un instant, met le lit sens dessus dessous, et enferme le capitaine et le soldat sous le matelas et la paillasse. Après s’être dégagé de son mieux, le comte Despilliers, qui était cependant très-brave, s’en retourna tout confus et fit déloger le cavalier. Il raconta depuis son aventure, pensant bien qu’il avait eu affaire avec quelque démon. Néanmoins il se trouva, dit-on, que le lutin n’était qu’un grand singe.

Desrues, empoisonneur, rompu et brûlé à Paris en 1777, à l’âge de trente-deux ans. Il avait été exécuté depuis quinze jours lorsque tout à coup le bruit se répandit qu’il revenait toutes les nuits sur la place de Grève. On voyait un homme en robe de chambre, tenant un crucifix à la main, se promenant lentement autour de l’espace qu’avaient occupé son échafaud et son bûcher, et s’écriant d’une voix lugubre : — « Je viens chercher ma chair et mes os. » Quelques nuits se passèrent ainsi, sans que personne osât