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pas ici le dévouement de Décius (Voy. ce mot), ni celui de Codrus, ni tant d’autres. Il y avait aussi des villes où l’on donnait des malédictions à un homme pour lui faire porter tous les maux publics que le peuple avait mérités. Valère-Maxime rapporte l’exemple d’un chevalier romain, nommé Curtius, qui voulut attirer sur lui-même tous les malheurs dont Rome était menacée. La terre s’était épouvantablement entrouverte au milieu du marché ; on crut qu’elle ne reprendrait son premier état que lorsqu’on verrait quelque action de dévouement extraordinaire. Le jeune chevalier monte à cheval, fait le tour de la ville à toute bride, et se jette dans le précipice que l’ouverture de la terre avait produit, et qu’on vit se refermer ensuite presque en un moment. On lit dans Servius, sur Virgile, qu’à Marseille, avant le christianisme, dès qu’on apercevait quelque commencement de peste, on nourrissait un pauvre homme des meilleurs aliments ; on le faisait promener par toute la ville en le chargeant hautement de malédictions, et on le chassait ensuite, afin que la peste et tous les maux sortissent avec lui[1]. Les Juifs dévouaient un bouc pour la rémission de leurs péchés. Voy. Azazel.

Voici des traits plus modernes : un inquisiteur, en Lorraine, ayant visité un village devenu presque désert par une mortalité, apprit qu’on attribuait ce fléau à une femme ensevelie, qui avalait peu à peu le drap mortuaire dont elle était enveloppée. On lui dit encore que le fléau de la mortalité cesserait lorsque la morte, qui avait dévoué le village, aurait avalé tout son drap. L’inquisiteur, ayant rassemblé le conseil, fit creuser la tombe. On trouva que le suaire était déjà avalé et digéré. À ce spectacle, un archer tira son sabre, coupa la tête au cadavre, le jeta hors de la tombe et la peste cessa. Après une enquête exacte, on découvrit que cette femme avait été adonnée à la magie et aux sortilèges[2]. Au reste, cette anecdote convient au vampirisme. Voy. Envoûtement et Vampires.

Dia. Les anciens peuples de la Sibérie adoraient une divinité appelée Dia, qu’ils croyaient triple et une. Ses images la représentaient avec trois têtes et six bras. Elle tenait un sceptre, un miroir et un cœur enflammé.

Diable. C’est le nom général que nous donnons à toute espèce de démons. Il vient d’un mot grec qui désigne Satan, précipité du ciel. Mais on dit le diable lorsqu’on parle d’un esprit malin, sans le distinguer particulièrement. On dit le diable pour nommer spécialement l’ennemi des hommes.

On a fait mille contes sur le diable. Citons-en un.

Un chartreux étant en prières dans sa chambre sent tout à coup une faim non accoutumée, et aussitôt il voit entrer une femme, laquelle n’était qu’un diable. Elle s’approche de la cheminée, allume le feu et, trouvant des pois qu’on avait donnés au religieux pour son dîner, les fricasse, les met dans l’écuelle et disparaît. Le chartreux continue ses prières, puis il demande au supérieur s’il peut manger les pois que le diable a préparés. Celui-ci répond qu’il ne faut jeter aucune chose créée de Dieu, pourvu qu’on la reçoive avec actions de grâces. Le religieux mangea les pois, et assura qu’il n’avait jamais rien mangé qui fut mieux préparé.

Nous ne dirons rien de ce petit trait, qui est rapporté sans doute en manière de rire par le cardinal Jacques de Vitry. Mais voici d’autres histoires qui font voir qu’on a pris quelquefois pour le diable des gens qui n’étaient pas de l’autre monde. Un marchand breton s’embarqua pour le commerce des Indes, et laissa à sa femme le soin de sa maison. Cette femme était sage ; le mari ne craignit pas de prolonger le cours de son voyage et d’être absent plusieurs années. Or, un jour de carnaval, la dame, voulant pourtant s’égayer un peu, donna à ses parents et à ses amis une petite fête qui devait être suivie d’une collation. Lorsqu’on se mit au jeu, un masque habillé en procureur, ayant des sacs de procès à la main, entra et proposa à la dame de jouer quelques pistoles avec elle ; elle accepta le défi et gagna ; le masque présenta encore plusieurs pièces d’or qu’il perdit sans dire mot. Quelques personnes ayant voulu jouer contre lui perdirent ; il ne se laissait gagner que lorsque la dame jouait. On lit d’injurieux soupçons sur la cause qui l’engageait à perdre. — Je suis le démon des richesses, dit alors le masque en sortant de ses poches plusieurs bourses pleines de louis. Je joue tout cela, madame, contre tout ce que vous avez gagné. La dame trembla à cette proposition et refusa le défi en femme prudente. Le masque lui offrit cet or sans le jouer ; mais elle ne voulut pas l’accepter. Cette aventure commençait à devenir extraordinaire. Une dame âgée, qui se trouvait présente, vint à s’imaginer que ce masque pouvait bien être le diable. Cette idée se communiqua à l’assemblée, et comme on disait à demi-voix ce qu’on pensait, le masque, qui l’entendit, se mit à parler plusieurs langues pour les confirmer dans cette opinion ; puis il s’écria tout à coup qu’il était venu de l’autre monde pour venir prendre une dame qui s’était donnée à lui, et qu’il ne quitterait point la place qu’il ne se fut emparé d’elle, quelque obstacle qu’on voulût y apporter… Tous les yeux se fixèrent sur la maîtresse du logis. Les gens crédules étaient saisis de frayeur, les autres à demi épouvantés ; la dame de la maison se mit à rire. Enfin le faux diable leva son masque, et se fit

  1. Lebrun, Histoire des superstitions, t. I, ch. iv, p. 413.
  2. Sprenger, Malleus malefic., part. I, quæst. xv. Voyez aussi Envoûtement.