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ques-uns les autres qu’il la dut à une certaine prière cabalistique que plusieurs curieux ont récitée sans profit, et qu’il parvint à changer le cuivre en or.

Dans un livre que M. Aug. Vallet, de l’École des chartes, a analysé, Flamel conte qu’il trouva, à force d’aides et d’application, le secret du grand œuvre. Il devint riche à cinq millions, qui en valaient plus de cinquante d’aujourd’hui. Mais ce ne sont là que des fables. L’abbé Vilain a démontré que Flamel était un simple bourgeois qui devint riche par le travail opiniâtre, et qui fit de bonnes œuvres. Toutefois bien des amateurs voient encore en lui le plus habile des philosophes hermétiques ; et il se trouve des gens, même de nos jours, qui croient que, grâce à la pierre philosophale, qui est aussi l’élixir de vie, Nicolas Flamel n’est pas mort.

Voici toutefois sa légende : « Une nuit, dit-on, pendant son sommeil, un ange lui apparut, tenant un livre assez remarquable, couvert de cuivre bien ouvragé, les feuilles d’écorce déliée, gravées d’une très-grande industrie, et écrites avec une pointe de fer. Une inscription en grosses lettres dorées contenait une dédicace faite à la gent des Juifs, par Abraham le Juif, prince, prêtre, astrologue et philosophe. — Flamel, dit l’ange, vois ce livre auquel tu ne comprends rien : pour bien d’autres que toi il resterait inintelligible ; mais tu y verras un jour ce que tout autre n’y pourrait voir. — À ces mots Flamel tend les mains pour saisir ce présent précieux ; mais l’ange et le livre disparaissent, et il voit des flots d’or rouler sur leur trace. Il se réveilla ; et le songe tarda si longtemps à s’accomplir, que son imagination s’était beaucoup refroidie, lorsqu’un jour, dans un livre qu’il venait d’acheter en bouquinant, il reconnut l’inscription du même livre qu’il avait vu en songe, la même couverture, la même dédicace et le même nom d’auteur. Ce livre avait pour objet la transmutation métallique, et les feuillets étaient au nombre de vingt et un, « qui font la mystérieuse combinaison cabalistique de trois fois sept. Nicolas se mit à étudier ; et, ne pouvant comprendre les figures, il fit un vœu, disent les conteurs hermétiques ? pour posséder l’interprétation d’icelles, qu’il n’obtint pourtant que d’un rabbin. Le pèlerinage à Saint-Jacques, qui était son vœu, eut lieu aussitôt ; Flamel en revint tout à fait illuminé. Et voici, selon les mêmes conteurs, la prière qu’il avait faite pour obtenir l’intelligence : — « Dieu tout-puissant, éternel, père de la lumière, de qui viennent tous les biens et tous les dons parfaits, j’implore votre miséricorde infinie ; laissez-moi connaître votre éternelle sagesse ; c’est elle qui environne votre trône, qui a créé et fait, qui conduit et conserve tout. Daignez me l’envoyer du ciel, votre sanctuaire, et du trône de votre gloire, afin qu’elle soit et qu’elle travaille en moi ; car c’est elle qui est la maîtresse de tous les arts célestes et occultes, qui possède la science et l’intelligence de toutes choses. Faites qu’elle m’accompagne dans toutes mes œuvres ; que par son esprit j’aie la véritable intelligence ; que je procède infailliblement dans l’art noble auquel je me suis consacré, dans la recherche de la miraculeuse pierre des sages que vous avez cachée au monde, mais que vous avez coutume au moins de découvrir à vos élus ; que ce grand œuvre que j’ai à faire ici-bas je le commence, je le poursuive et je l’achève heureusement ; que, content, j’en jouisse à toujours. Je vous le demande par Jésus-Christ, la pierre céleste, angulaire, miraculeuse et fondée de toute éternité, qui commande et règne avec vous[1], etc. »

Cette prière eut tout son effet, puisque Flamel convertit d’abord du mercure en argent, et bientôt du cuivre en or. Il ne se vit pas plutôt en possession de la pierre philosophale qu’il voulut que des monuments publics attestassent sa piété et sa prospérité. Iï n’oublia pas aussi de faire mettre partout ses statues et son image, sculptées, accompagnées d’un écusson où une main tenait une écritoire en forme d’armoirie. Il fit graver, de plus, le portrait de sa femme, Pernelle, qui l’accompagna dans ses travaux alchimiques.

Flamel fut enterré dans l’église de Saint-Jacques de la Boucherie, à Paris. Après sa mort, plusieurs personnes se sont imaginé que toutes les sculptures allégoriques de cette église étaient autant de symboles cabalistiques qui renfermaient un sens qu’on pouvait mettre à profit. Sa maison, vieille rue de Marivaux, n° 16, passa dans leur imagination pour un lieu où l’on devait trouver des trésors enfouis : un ami du défunt s’engagea, dans cet espoir, à la restaurer gratis ; il brisa tout et ne trouva rien.

D’autres ont prétendu que Flamel n’était pas mort, et qu’il avait encore mille ans à vivre : il pourrait même vivre plus, en vertu du baume universel qu’il avait découvert. Quoi qu’il en soit, le voyageur Paul Lucas affirme, dans une de ses relations, avoir parlé à un derviche ou moine turc, qui avait rencontré Nicolas Flamel et sa femme s’embarquant pour les Indes.

On ne s’est pas contenté de faire de Flamel un adepte, on en a fait un auteur. En 1561, cent quarante-trois ans après sa mort, Jacques Gohorry publia, in-18, sous le titre de Transformation métallique, trois traités en rhythme française : la Fontaine des amoureux des sciences ; les Remontrances de nature à l’alchimiste errant, avec la réponse, par Jean de Meung, et le Sommaire philosophique attribué à Nicolas Flamel. On met aussi sur son compte le Désir désiré, ou Trésor de philosophie, autrement le Livre des six paroles, qui se trouve avec le Traité du soufre, du

  1. Hydrolicus sophicus seu aquarium sapient. Bibl. chim. de Manget, t. II, p. 557.