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lons, on reconnaît les sectateurs d’Ali et de Mahomet. On distingue les brahmes, adorateurs de Vichnou, à leur démarche grave et hautaine, à leur tête nue, aux lignes blanches, jaunes et rouges qu’ils portent sur le front, et qu’ils renouvellent tous les matins à jeun ; à leurs vêtements blancs drapés avec art sur leurs épaules ; enfin, à la marque la plus distinctive de leurs fonctions de brahmes, le cordon en écharpe qu’ils portent de gauche à droite, et qui se compose d’un nombre déterminé de fils, que l’on observe scrupuleusement. Il est filé sans quenouille, et de la main même des brahmes. Le cordon des nouveaux initiés a trois brins avec un nœud ; à l’âge de douze ans, on leur confère le pouvoir de remplir leurs fonctions ; ils reçoivent alors le cordon composé de six brins avec deux nœuds.

» Les Hindous sont divisés en quatre castes : la première est celle des brahmes ou prêtres ; la seconde celle des guerriers ; la troisième celle des agriculteurs ; la quatrième celle des artisans. Ces castes ne peuvent manger ni s’allier ensemble. Vient ensuite la caste la plus basse, la plus méprisée, la plus en horreur à tous les Hindous : c’est celle des parias, qui sont regardés comme des infâmes, parce qu’ils ont été chassés il y a des siècles peut-être des castes auxquelles ils appartenaient. Cette infamie se transmet de père en fils, de siècle en siècle. Quand un Hindou de caste permet à un paria de lui parler, celui-ci est obligé de tenir une main devant sa bouche, pour que son haleine ne souille pas le fier et orgueilleux Bengali.

» Le nombre des parias est si considérable que s’ils voulaient sortir de l’opprobre où on les tient, ils pourraient devenir oppresseurs à leur tour.

» Vers le milieu de la journée, dit ailleurs l’écrivain que nous transcrivons, nous arrivâmes près d’une vaste plaine, où se trouvaient réunis un grand nombre d’Hindous. Au centre s’élevait un mât ayant à son sommet une longue perche transversale fixée par le milieu. Quelques hommes, pesant sur l’un des bouts de la perche, la tenaient près du sol, tandis que l’autre extrémité s’élevait en proportion contraire. Un corps humain y était suspendu ; il paraissait nager dans l’air. Nous nous approchâmes du cercle formé par les spectateurs, et je vis avec le plus grand étonnement que ce malheureux n’était retenu dans sa position que par deux crocs en fer.

» Cet homme ayant été descendu et décroché, il fut remplacé par un autre sunnyass ; c’est sous ce nom qu’on désigne cette sorte de fanatiques. Loin de donner des signes de terreur, il s’avança gaiement et avec assurance au lieu du supplice. Un brahme s’approcha de lui, marqua la place où il fallait enfoncer les pointes de fer ; un autre, après avoir frappé le dos de la victime, avait introduit les crocs avec adresse, juste au-dessous de l’omoplate. Le sunnyass ne parut point en ressentir de douleur. Il plana bientôt au-dessus des têtes, prit dans sa ceinture des poignées de fleurs qu’il jeta à la foule en la saluant de gestes animés et de cris joyeux.

» Le fanatique paraissait heureux de sa position ; il fit trois tours dans l’espace de cinq minutes. Après quoi on le descendit, et les cordes ayant été déliées, il fut ramené à la pagode au bruit des tam-tams et aux acclamations du peuple.

» Que penser d’une religion qui veut de tels sacrifices ? Quels préjugés ! quel aveuglement ! On éprouve un sentiment douloureux au milieu de ce peuple privé de ces vérités consolantes, de ces pratiques si douces et si sublimes de la religion du Christ. Hâtons de nos vœux le moment où celui qui a dit au soleil : « Sortez du néant et présidez au jour, » commandera à sa divine lumière d’éclairer ces peuples assis à l’ombre de la mort.

» Tous les riches habitants de Madras possèdent de charmantes maisons de campagne entourées de jardins d’une immense étendue ; c’est un véritable inconvénient pour les visiteurs, qui sont souvent obligés de parcourir un espace de trois milles pour aller d’une maison à l’autre. En revenant un soir d’une de ces délicieuses propriétés fort éloignée de la ville, j’entendis des cris déchirants partir d’une habitation indienne devant laquelle je passais ; ils furent bientôt couverts par une musique assourdissante : le son si triste du tam-tam prévalait sur tout ce tumulte. Je sortis de mon palanquin, et montant sur une petite éminence qui se trouvait à quelques pas de la maison, je pus jouir tout à mon aise de l’étrange spectacle qui s’offrit à ma vue.

» Je vis sortir de cette habitation des musiciens deux à deux, et, dans le même ordre, suivaient une trentaine d’Indiens, tous coiffés d’un mouchoir en signe de deuil ; ils déroulèrent dans toute sa longueur une pièce d’étoffe blanche d’environ trente pieds, qu’ils étendirent avec soin sur le milieu de la route. Puis venait un groupe d’hommes paraissant chargés d’un lourd et précieux fardeau qu’ils portaient sur leurs épaules ; ils marchaient sur le tapis jonché de fleurs, que de jeunes filles jetaient à mesure qu’ils approchaient. Le fardeau était une jeune fille morte, richement parée, que l’on conduisait à sa dernière demeure. Le voyageur eut le bonheur d’entendre les chants de l’Église sur la fosse ; car on rendait à la terre les restes d’une chrétienne malabare.

On voit dans le même chapitre comment sont enterrés les Indiens sans honneur. Tippoo-Sahïb dut sa perte surtout à la perfidie. Son premier ministre, soupçonné d’avoir trahi sa cause, fut massacré par les soldats et enterré sous des babouches (souliers); ce qui, dans l’Orient, est la plus grande marque de mépris.

Sureau. Quand on a reçu quelque maléfice de