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Devenu alors le favori de l’empereur, il lui fait des statués enchantées, au. moyen desquelles il sera informé de tout mouvement d’insurrection jusque dans les provinces les plus éloignées de Rome ; puis l’enchanteur opère d’autres merveilles. Il aime la ville de Naples ; il la protège donc contre les mouches qui l’infestent. Elles ne pourront plus y entrer, arrêtées par une grosse mouche d’airain qu’il a placée sur une des portes. Il construit pour l’empereur des bains merveilleux où toute maladie quelconque trouve sa guérison immédiate. Il délivre les eaux de Rome du fléau des sangsues, en plaçant dans un de ses puits une sangsue d’or dont il a fait un talisman. Il allume au milieu de Rome un fanal qui brûlera trois cents ans et qui éclairera la grande cité jusque, dans ses moindres carrefours.

Pourtant il paraît que ces merveilles ne sont pas l’œuvre du grand poëte, que c’est a tort qu’on les lui attribue ; que le vrai magicien Virgile était un chevalier des Ardennes, plus ancien que l’auteur de l’Enéide, et que son histoire excentrique a sa source dans un vieux roman chevaleresque du moyen âge[1].

Virgile, évêque de Salzbourg. Voy. Antipodes.

Visions. Il y a plusieurs sortes de visions, qui la plupart ont leur siège dans l’imagination ébranlée. Aristote parle d’un fou qui demeurait tout le jour au théâtre, quoiqu’il n’y eût personne, et que là il frappait des mains et riait de tout son cœur, comme s’il avait vu jouer la comédie la plus divertissante.

Un jeune homme, d’une innocence et d’une pureté de vie extraordinaires, étant venu a mourir à l’âge de vingt-deux ans, une vertueuse veuve vit en songe plusieurs serviteurs de Dieu qui ornaient un palais magnifique. Elle demanda pour qui on le préparait ; on lui dit que c’était pour le jeune homme qui était mort la veille. Elle vit ensuite dans ce palais un vieillard vêtu de blanc, qui ordonna à deux de ses gens de tirer ce jeune homme du tombeau et de l’amener au ciel. Trois jours après la mort du jeune homme, son père, qui se nommait Armène, s’étant retiré dans un monastère, le fils apparut à l’un des moines et lui dit que Dieu l’avait reçu au nombre des bienheureux, et qu’il l’envoyait chercher son père. Armène mourut le quatrième jour[2].

Voici des traits d’un autre genre. Torquemada conte qu’un grand seigneur espagnol, sorti un jour pour aller à la chasse sur une de ses terres, fut fort étonné lorsque, se croyant seul, il s’entendit appeler par son nom. La voix ne lui était pas inconnue ; mais comme il ne paraissait pas empressé, il fut appelé une seconde fois et reconnut distinctement l’organe de son père, décédé depuis peu. Malgré sa peur, il ne laissa pas d’avancer. Quel fut son étonnement de voir une grande caverne ou espèce d’abîme dans laquelle était une longue échelle ! Le spectre de son père se montra sur les premiers échelons, et lui dit que Dieu avait permis qu’il lui apparût, afin de l’instruire de ce qu’il devait faire pour son propre salut et pour la délivrance de celui qui lui parlait, aussi bien que pour celle de son grande père, qui était quelques échelons plus bas ; que la justice divine, les punissait et les retiendrait jusqu’à ce qu’on eût restitué un héritage usurpé par ses aïeux ; qu’if eût à le faire incessamment, qu’autrement sa place était déjà marquée dans ce lieu de souffrance. À peine ce discours eut-il été prononcé que le spectre et l’échelle disparurent, et l’ouverture de la caverne se referma. Alors la frayeur l’emporta sur l’imagination du chasseur ; il retourna chez lui, rendit l’héritage, laissa à son fils ses autres biens et se retira dans un monastère, où il passa le reste de sa vie.

Il y a des visions qui tiennent un peu à ce que les Écossais appellent la seconde vue. Boaistuau raconte ce qui suit :

« Une femme enchanteresse, qui vivait à Pavie du temps du règne de Léonicettus, avait cet avantage qu’il ne se pouvait rien faire de mal à Pavie sans qu’elle je découvrît par son artifice, en sorte que la renommée des merveilles qu’elle faisait par l’art des diables lui attirait tous les seigneurs et philosophes de l’Italie. Il y avait en ce temps un philosophe à qui, l’on ne pouvait persuader d’aller voir cette femme, lorsque, vaincu par les sollicitations de quelques magistrats de la ville, il s’y rendit. Arrivé devant cet organe de Satan, afin de ne demeurer muet et pour la sonder au vif, il la pria de lui dire, à son avis, lequel de tous les vers de Virgile était le meilleur. La vieille, sans rêver, lui répondit aussitôt :


Discite juslitiam moniti et non temnero divos.


» Voilà, ajouta-t-elle, le plus digne vers que Virgile ait fait. Va-t’en, et ne reviens plus pour me tenter. Ce pauvre philosophe et ceux qui l’accompagnaient s’en retournèrent sans aucune réplique et ne furent en leur vie plus étonnés d’une si docte réponse, attendu qu’ils savaient tous qu’elle n’avait en sa vie appris ni à lire ni à écrire…

» Il y a encore, dit le même auteur, quelques visions qui proviennent d’avoir mangé du venin ou poison, comme Pline et Edouardus enseignent de ceux qui mangent la cervelle d’un ours, laquelle dévorée, on se droit transformée en ours. Ce qui est advenu à un gentilhomme espagnol de notre temps à qui on en fit manger, et il errait dans les montagnes, pensant être changé en ours.

  1. Voyez cette grande légende dans les Légendes infernales.
  2. Lettre de l’évêque Evode a saint Augustin.
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