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Saint-Pétersbourg, d’où ils ont été bannis. Dans la plupart des villes provinciales, ils vivent en un état de demi-civilisation ; ils ne sont pas tout à fait sans argent, sachant en soutirer de la crédulité des moujiks ou paysans, et ne faisant aucun scrupule de s’en approprier par le vol et le brigandage, à défaut de bêtes à guérir et de gens curieux de se faire dire la bonne aventure.

» La race des rommanys est naturellement belle ; mais autant ils sont beaux dans l’enfance, autant leur laideur est horrible dans un âge avancé. S’il faut un ange pour faire un démon, ils vérifient parfaitement cet adage. Je vivrais cent ans que je n’oublierais jamais l’aspect d’un vieil attaman ziganskie ou capitaine de ziganis, et de son petit-fils, qui m’abordèrent sur la prairie de Novogorod, où était le campement d’une horde nombreuse. L’enfant eût été en tout un ravissant modèle pour représenter Astyanax ; mais le vieillard m’apparut comme l’affreuse image que Milton n’a osé peindre qu’à moitié ; il ne lui manquait que le javelot et la couronne pour être une personnification du monstre qui arrêta la marche de Lucifer aux limites de son infernal domaine.

» Les chinganys sont les Égyptiens hongrois.

» Il n’est que deux classes en Hongrie qui soient libres de faire tout ce qu’elles veulent, les nobles et les Égyptiens ; ceux-là sont au-dessus de la loi ; ceux-ci en dessous. Par exemple, un péage est exigé au pont de Pesth de tout ouvrier ou paysan qui veut traverser la rivière ; mais le seigneur aux beaux habits passe sans qu’on lui demande rien ; le chingany de même, qui se présente à moitié nu avec une heureuse insouciance et riant de la soumission tremblante de l’homme du peuple. Partout l’Égyptien est un être incompréhensible, mais nulle part plus incompréhensible qu’en Hongrie, où il est libre au milieu des esclaves et quoique moins bien partagé en apparence que le pauvre serf. La vie habituelle des Égyptiens de Hongrie est d’une abjection abominable ; ils demeurent dans des taudis où l’on respire l’air infect de la misère ; ils sont vêtus de haillons ; ils se nourrissent fréquemment des plus viles charognes, et de pire encore quelquefois, si l’on en croit la rumeur populaire. Eh bien, ces hommes à demi nus, misérables, sales et disputant aux oiseaux de proie leur nourriture, sont toujours gais, chantants et dansants. Les chinganys sont fous de la musique, il en est qui jouent du violon avec un vrai talent d’artiste.

» Comme tous les enfants de la race égyptienne, les chinganys s’occupent des maladies des chevaux ; ils sont chaudronniers et maréchaux par occasion ; les femmes disent aussi la bonne aventure ; hommes et femmes sont très-pillards. Dans une contrée où la surveillance de la police parque les autres habitants, les chin­ganys vont et viennent comme il leur plaît. Leur vie vagabonde leur fait souvent franchir les frontières, et ils reviennent de leurs excursions riches de leurs rapines ; riches, mais pour dissiper bientôt cette richesse en fêtes, en danses et en repas. Ils se partagent volontiers en bandes de dix à douze, et se rendent ainsi jusqu’en France et jusqu’à Rome. S’ils ont eu jamais une religion à eux, ils l’ont certainement oubliée ; ils se conforment généralement aux cérémonies religieuses du pays, de la ville ou du village où ils s’établissent, sans trop s’occuper de la doctrine…

» L’impératrice Marie-Thérèse et Joseph II firent quelques efforts inutiles pour civiliser les chinganys. On en comptait en Hongrie cinquante mille, d’après le recensement qui eut lieu en 1782. On dit que ce nombre a diminué depuis.

» Il y a trois siècles environ que les gypsys arrivèrent en Angleterre, et ils furent accueillis par une persécution qui ne tendait à rien moins qu’à les exterminer complètement. Être un gypsy était un crime digne de mort ; les gibets anglais gémirent et craquèrent maintes fois sous le poids des cadavres de ces proscrits, et les survivants furent à la lettre obligés de se glisser sous la terre pour sauver leur vie. Ce temps-là passa. Leurs persécuteurs se lassèrent enfin ; les gypsys montrèrent de nouveau la tête, et, sortant des trous et des cavernes où ils s’étaient cachés, ils reparurent plus nombreux ; chaque tribu ou famille choisit un canton, et ils se partagèrent bravement le sol pour l’exploiter selon leur industrie. Dans la Grande-Bretagne aussi les gypsys du sexe mâle sont tout d’abord des maquignons, des vétérinaires, etc. Quelquefois aussi ils emploient leurs loisirs à raccommoder les ustensiles de cuivre et d’étain des paysans. Les femmes disent la bonne aventure. Généralement ils dressent leurs tentes à l’ombre des arbres ou des haies, dans les environs d’un village ou d’une petite ville sur la route. La persécution qui fit autrefois une si rude guerre aux gypsys se fondait sur diverses accusations : on leur reprochait entre autres crimes le vol, la sorcellerie et l’empoisonnement dés bestiaux. Étaient-ils innocents de ces crimes ? Il serait difficile de les justifier d’une manière absolue. Quant à la sorcellerie, il suffisait de croire aux sorciers pour condamner les gypsys ; car ils se donnaient eux-mêmes pour tels. Ce ne sont pas seulement les gypsys anglais, mais tous les Égyptiens, qui ont toujours prétendu à cette science ; ils n’avaient donc qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils étaient poursuivis pour ce crime.

» C’est la femme gypsy qui exploite généralement cette partie des arts traditionnels de la race. Encore aujourd’hui elle prédit l’avenir, elle prépare les philtres, elle a le secret d’inspirer l’amour ou l’aversion. Telle est la crédulité de toute la race humaine, que, dans les pays les plus éclai-