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EDMOND JALOUX

Le salon de Sunhary groupait les meubles les plus baroques que son propriétaire avait pu dénicher. Un grand miroir de Venise à lames de couleur reflétait dans son eau marécageuse et décomposée un bahut noirâtre surmonté de potiches et un divan de soieries rouges. Sunhary, en ce moment, se tenait dans un solennel fauteuil sculpté et vermoulu, aux jambes en X, et dont les accoudoirs s’achevaient par la grimace de grosses têtes de lion aux crinières vermiculées. Delville lui faisait vis-à-vis sur une chaise turque incrustée de nacre et dont le siège avait la forme inattendue d’un pont renversé. Des tables minuscules à mosaïques ou à marqueteries, des lanternes chinoises, des ombrelles japonaises et une profusion de masques hideux, aux bouches béantes et aux tempes chevelues, achevaient de donner à cette pièce un aspect étrange, qui devenait fantastique, quand l’ombre se mettait de la partie.

Ce Sunhary n’avait qu’une passion : il était curieux. Il se plaisait à démêler ce qui se cache de l’âme des gens et des intrigues de la société. Il en fréquentait plusieurs ; cela lui permettait de satisfaire avec ardeur son vice secret. Trait de caractère d’ailleurs assez rare, il ne demandait point qu’on admirât sa clairvoyance, ne révélait strictement à personne le résultat de ses observations et s’en amusait tout seul, en égoïste sceptique et narquois. Cette discrétion connue lui facilitait la besogne, en augmentant la confiance et l’abandon de ses amis et surtout de ses amies.

C’était, au demeurant, un personnage fort mystérieux lui-même, hautain, réservé, taciturne, d’une politesse froide et incolore. En dehors de sa manie