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L’ÉCOLE DES MARIAGES

psychologique, il était normal. Il avait, comme tout le monde, une maîtresse qu’il n’aimait pas, la voyait à dates fixes et ne lui permettait aucune intrusion dans son existence. Il lisait beaucoup, furetait chez les marchands de bric-à-brac, fréquentait un grand nombre de personnes et voyageait trois mois de l’année, toujours seul. Il avait vingt-neuf ans ; on lui en aurait donné trente-cinq. Très maigre et très long, il portait une tête osseuse et sèche, minutieusement rasée ; on l’eût pris aisément pour un clown ou pour un diplomate. Regard terne et inexpressif, comme dirigé vers l’intérieur du crâne, cheveux plats et noirs, voix sourde, gestes rares, démarche flegmatique ; ajoutez à cet ensemble peu sympathique deux rides transversales sur un front en pente, et deux autres verticales, en forme de guillemets, aux coins de ses lèvres minces.

Depuis longtemps, il connaissait Delville, et son inlassable patience à l’écouter, son caractère énergique, prompt aux décisions, la fermeté de ses avis, un empire lent et sûr avaient fait peu à peu de lui le meilleur ami de René, bien qu’il n’eût jamais confié de son caractère un seul détail à ce compagnon qui ne lui cachait rien.

— Tu sais dans quelles dispositions j’étais en sortant de chez M. Diamanty, racontait René. Ah ! mon vieux, si je ne me suis pas tué ce jour-là !…

— Tu ne te tueras jamais, c’est mon avis. Quant à ta disposition d’esprit, en effet, tu m’en as largement fait part. Après ton départ, il a poussé des champignons sous ta chaise…

Habitué aux plaisanteries moqueuses de son confident, l’amoureux continua sans se troubler :