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L’ÉCOLE DES MARIAGES

lustre nouveau par la réputation de ses ancêtres, son honnêteté, sa minutie, et un certain air lamentable et funèbre qui séduisait ses clients et qui convenait à son état. Mme Guitton fut quelques années au comble de ses vœux. Adulée, parce qu’elle était riche, flattée, parce qu’on la savait vaniteuse, elle remplit de son importance non seulement son intérieur, mais encore ceux qui la reçurent familièrement. Elle y prit, peu à peu, un certain air d’oracle, conseillant, approuvant, blâmant, s’ingérant avec tact et indiscrétion dans les affaires d’autrui. À cela, se satisfaisait un besoin fiévreux d’autorité, qu’elle ne montrait guère à première vue, mais que ses intimes connaissaient bien, et son mari surtout qui dut toujours plier le dos à ses exigences et dire « Amen » à toutes ses paroles. Elle devait à un embonpoint croissant et à une apparence un peu vieillotte de sa physionomie de ne point tomber dans le ridicule qu’il y a, pour une jeune femme, à vouloir régenter chacun. Et d’ailleurs, avec le temps, cette attitude, d’abord précoce, lui convint chaque jour davantage.

Trois ans après son mariage, Mme Guitton accoucha d’une fillette que l’on nomma Fanny. Pendant longtemps, le crédit et la réputation de M. Guitton grandirent, puis ils déclinèrent lentement. On murmura bientôt que ce brasseur d’affaires finirait par gâcher la sienne ; il parut lui-même inquiet et souffrant. Une hausse rapide de blés sur lesquels il avait joué à la baisse l’acheva. Il s’alita peu après et mourut, après une courte maladie, laissant la situation financière et commerciale la plus embrouillée du monde. On en démêla avec peine le difficile écheveau. Il parut alors que M. Guitton s’était à peu près