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EDMOND JALOUX

V

Mme Élodie Guitton appartenait à cette classe de la société pour qui paraître est le synonyme de vivre. Elle existait, non pour se plaire à elle-même, mais afin de donner aux autres une idée flatteuse de son crédit, de sa richesse, de son importance. Ces traditions de vanité héréditaire, qui se conservent fidèlement dans les races de commerçants marseillais, avaient imprégné Mme Guitton, dès son enfance, de cette idée qu’elle appartenait à une famille près de laquelle les autres ne sont que peu de chose. Son père, M. Garoutte, négociant très honorablement connu, la maria à un jeune courtier, très actif et, d’un bel avenir. En entrant dans cette nouvelle maison, Élodie y trouva le même orgueil que dans la sienne, accru ici par l’honneur que les Guitton faisaient sonner bien haut d’avoir donné jadis un archevêque à Aix, un vicaire général à Digne et un colonel quelque part.

La jeune femme, assez fortunée pour satisfaire ses goûts mondains, fit des visites, en reçut, donna des dîners et trôna dans diverses sociétés. Elle étala, partout où elle le put, sa gloire d’être en même temps Garoutte et Guitton. Affable, flatteuse, habile, elle sut se créer une cour où l’on se rendit, non par espoir de galanterie, car, petite et boulotte, Mme Guitton n’était guère plaisante, mais pour obtenir des recommandations utiles ou faire des connaissances précieuses. En même temps son frère, qui avait pris la succession de la maison Garoutte, cédait toutes ses affaires à M. Guitton et achetait une charge de notaire à laquelle il donna très vite un