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LE RESTE EST SILENCE…

grands arbres des jardins publics et des boulevards. Je crois que cette lente promenade solennelle m’ennuyait autant que ma mère. En revenant, nous entrions souvent dans un café, — toujours le même. On me donnait un « canard » et je m’amusais longuement de voir le café à la crème creuser un minuscule Maëlström dans le verre de papa, quand on y tournait, très vite, une petite cuiller. Après quoi, mon père tenait à ce que l’on rendît visite à sa sœur. Elle était mariée avec un avoué et avait quatre enfants. C’était une petite femme grosse, rouge, remuante, tracassière, avec une figure large et toujours luisante, comme si on l’huilait chaque matin de peur d’en entendre grincer les articulations. Mais, hélas ! on n’huilait pas de même les ressorts de son caractère, et ils en auraient eu grand besoin. Elle détestait sa belle-sœur ; chaque dimanche, elle lui adressait des paroles désagréables, parce qu’elle était trop élégante, ou parce qu’elle n’avait qu’un fils, ou parce qu’elle était trop jeune, ou bien encore elle établissait des