Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/231

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alors ces demi-dieux, qui, dans l’antiquité, n’étaient hommes que six mois et, le reste de l’année, devenaient constellations. Que ne puis-je brûler de même, glacial et pur, au fond de la nuit, me cristallisant dans une de ces étoiles à arêtes fixes, qui troublent le regard des rêveurs ! Oui, je voudrais alors partager la sérénité des dieux, être étranger à tout ce qui est humain, ne pas connaître l’amour, ni la haine, ni le froid, ni le chaud, ni la maladie, ni la mort, mais vivre sans hâte et sans regret dans l’indifférente contemplation des choses qui s’écoulent. Et c’est pour demeurer un astre parmi les hommes, un demi-dieu tombé dans la boue, que j’ai caché ma tendresse, mes émotions, mes ardeurs, que je n’ai montré que mon détachement et ma liberté d’esprit, jusqu’à en paraître féroce. Et pourtant je mentais, car je me prêtais avec passion à tous ces sentiments que je dédaignais, je m’en vêtais comme de loques empruntées aux uns et aux autres, j’en disposais les oripeaux sur ma nudité, je devenais un Arlequin fait de pièces et de morceaux, mystérieux et bariolé.