Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/238

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— Oui, petite May, dit-il un autre soir, après avoir versé d’un vénérable flacon, dans son verre à hippocampe, quelque riche et mystérieux alcool, si j’ai détesté l’homme à ce point, c’est que je souffrais sans cesse dans mes relations avec lui. On peut être hautain, dur et cassant, et cacher sous cette rude écorce la plus frémissante sensibilité, mais je crois qu’au fond de cette sensibilité, il y avait toujours et surtout de l’orgueil. Vous ne savez pas le terrible cilice que cela est, petite May ! On devient misanthrope, parce que l’on s’est fait d’abord une trop haute idée de l’homme, on aurait voulu le respecter en soi si profondément que chacun le respectât de la sorte et que nul ne vînt choquer l’amour de son honneur et de sa dignité. Mais les rapports de ces êtres entre eux sont rudes et grossiers, et, tôt ou tard, vous obligent à l’éloignement, à la méfiance, à la défensive d’abord, à la haine ensuite. Il vient un jour où il est impossible de supporter leur morgue, leur insolence, leur vulgarité, leur bouffissure, leur indiscrétion, le niais rado-