Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LE RESTE EST SILENCE…

des rues plus joyeuses, loin de ces quais somnolents et déserts.

Papa était gai et parlait, je ne sais de quoi, sans doute de ses affaires, de sa sœur, de M. Godfernaux ; il vivait dans son petit univers comme le rat de la fable, en son fromage ; son commerce l’y enfermait. Cependant son esprit avait deux issues illimitées : ses employés et Irma. Pour nous, bien entendu, nous formions le noyau central de ce petit monde. Je pense que, pendant qu’il discourait, maman ne l’écoutait pas. Ne savait-elle pas depuis longtemps, bien longtemps, tout ce qu’il pouvait lui dire ?

Soudain, au coin d’une rue, la main de ma mère eut un léger tressaillement dans la mienne. Une ombre venait de passer très vite à côté de nous. Maman se retourna, et je la vis jeter, en toute hâte, un sourire… À qui ? Je regardai derrière moi, machinalement. Trois ouvrières, qui se donnaient le bras, tenaient en riant la chaussée. Un vieux monsieur venait en sens inverse. Une mince silhouette de jeune homme