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Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/57

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LE RESTE EST SILENCE…

temps à son mari. Il ne lui parlait pas, c’est vrai, mais du moins n’avait-il pas toujours aux lèvres ces paroles maladroites ou blessantes qui froissent tant les jeunes femmes solitaires Puis je naquis, et toute la vie de la maison se trouva modifiée…

Je ne fus longtemps pour ma mère qu’un jouet de plus. Mes premiers souvenirs sont très brouillés. Mais je nous revois souvent, elle et moi, courant après une balle ou alignant des soldats de plomb, à quatre pattes tous les deux sur le tapis. L’hiver, assis devant la cheminée où le feu consumait les bûches, j’écoutais maman me lire ou me narrer des contes de fées. Ce sont eux qui me donnèrent ma première vision de l’univers. Elle était pleine d’enchantements, de vieilles dames bienfaisantes ou dangereuses, de belles chevelures et de dragons. Je me représentais la jolie princesse persécutée sous les traits de ma mère. Quant à mon père, je ne trouvais rien dans cette littérature qui lui ressemblât. Il n’avait point de place, lui, entre les enchanteurs et les chimères : il était absurdement réel.