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LE RESTE EST SILENCE…

Au milieu de l’universelle destruction du soir, meubles, vases, tapisseries, gravures se fondaient à mes yeux, l’intimité de la pièce se faisait plus intime encore, l’obscurité tombait comme une pluie de cendres, qui voilait peu à peu chaque chose. Tout ce qui avait un sens, une âme, un passé, ce qui montrait derrière soi une longue chaîne de jours, liés les uns aux autres comme les clématites poudreuses d’une même branche, les menus bibelots que ma mère achetait à force d’économies, ce qui conservait, dans le naufrage lamentable et quotidien de son existence, un parfum d’élégance et de luxe, cela s’en allait submergé par la vaste mer de l’ombre. La lumière se déchirait comme de la charpie, cédait aux mains hostiles de la nuit commençante. Les contours élancés ou courbes de certains objets, la scintillation posée au flanc d’une urne de cristal, la dorure d’un cadre résistaient encore un moment, puis se détachaient enfin et mouraient dans cette sorte de grisaille presque liquide. Longtemps, la glace restait lumineuse ; elle s’op-