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LE RESTE EST SILENCE…

quand je les entends aujourd’hui, il me semble que leurs harmonies sortent du fond même de mon cœur. Je ferme à demi les yeux, j’oublie le salon où je suis, l’être qui promène ses doigts sur le clavier ; je revois ma mère avec ses cheveux si bruns dont les bandeaux formaient autour de son front comme deux ailes d’hirondelle, avec ses grands yeux bleus d’enfant, purs et tranquilles, son profil droit, ses mains soyeuses et douces sur le pâle ivoire, marbré de noir. Voici l’ancien fauteuil où je m’asseyais et sa rose de bois délicatement enroulée au haut du dossier, voici les coussins de vieille soie, devenue presque humaine à force d’usure et de soumission, voici les tapis orientaux à laine courte, à dessins mystérieux et terribles. À côté, il y a la salle à manger dont la suspension est dorée ainsi qu’une ruche, il y a Élise, grande, blonde et rouge, qui prépare la table, il y a la bonne intimité, le resserrement entre soi, la paix tiède et recueillie de l’intérieur, le pelotonnement contre des meubles doux, amicaux, aux angles arrondis et serviables,