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Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/73

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LE RESTE EST SILENCE…

trop lourdes, et j’avais peur alors comme au bord d’un torrent qui gronde, et je désirais rentrer au plus tôt sous le toit paisible où l’on jouait du piano, le soir, dans la calme demeure de mon repos et de mon bonheur, confortable, protectrice et vaste comme la barbe blanche du père Noël.


Un soir, maman jouait et je l’écoutais, assis sur un pouf, devant la cheminée. Je me souviens qu’il faisait très froid et que, dans l’âtre, les flammes élastiques s’élançaient à l’assaut d’une grosse bûche noire et rougie par endroits, — les bougies n’étaient pas allumées et, derrière ma mère, le firmament avait l’éclat cruel et bleu de l’acier. C’était un ciel impitoyable, tranchant et clair comme un couperet de guillotine. Sous les doigts fins qui voletaient sur le clavier, les vieilles valses étaient revenues, — et aussi ces pauvres chansons sentimentales, banales comme un chromo et touchantes comme un souvenir de tendresse. Ces spectres de musique faisaient la révérence, tout autour de la pièce, dé-