Page:Jaloux - Le triomphe de la frivolité, 1903.djvu/14

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avec une intensité presque sauvage, et parfois, au milieu des voluptés et des ivresses, il semblait que son âme déjà détachée de tout par l’excès même de sa frénésie, se tournât vers quelque horizon plus vaste et plus pur, tant sur son visage tourmenté, il passait alors d’apaisement et de mélancolique harmonie !

Vers le milieu de juin, notre amie s’alita et il devint affreusement clair qu’elle ne se relèverait jamais. Le docteur de Grandsaigne, qui la soignait, ne nous cacha pas son opinion ; la maladie de Madame de Pleurre serait sans doute longue, dit-il, mais elle ne pardonnerait point.

Nous prîmes l’habitude de nous réunir chaque après-midi dans la chambre de la jeune femme. On potinait ; parfois Jean Larquier jouait du piano avec Madame de Gorliouges, Mademoiselle de Heldemorte chantait. Ces distractions, d’une qualité trop suraigüe, fatiguaient infiniment la malade, elle y gagnait une recrudescence de fièvre. Mais l’ennui l’épuisait plus encore, et puisqu’elle était condamnée, ne valait-il pas mieux que l’on voilât son agonie d’une écharpe de musiques, de rires, de badinages et de fleurs ?

Se voyait-elle mourir ? Elle ne parlait jamais de sa maladie et n’aimait point qu’on la lui rappelât. Elle causait volontiers avec nous de ce qui nous intéressait ; elle regrettait les parties de golf et de tennis où naguère elle apportait tant d’entrain, et les courses vertigineuses en automobile sur les routes flexibles où l’on laisse un sillage de poussière. Elle ne faisait pas de pro-