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Page:Jaloux - Le triomphe de la frivolité, 1903.djvu/31

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comme un enfant. Plus correct, Francis de Myomandre alluma une cigarette.

M. de Grandsaigne pria les assistants de se retirer, sans larmes et sans vaines effusions, comme c’était la volonté de la défunte qui n’avait point voulu donner à ses derniers moments un caractère romantique, et qui n’aimait, en toute chose, que la discrétion et la simplicité. Il sortit lui-même pour chercher dans une pièce voisine les femmes déjà requises pour ce qu’il restait à faire. Nous demeurâmes encore quelques minutes, Larquier et moi.

Je m’étais approché de la croisée, les fleurs vivantes et colorées qui brillaient au milieu des feuilles, demain, sur une tombe, se faneraient lentement ; le jardin avait un air d’attente et d’anxiété, l’eau buvait de la nuit dans sa vasque sanglante, et, soudain, j’entendis résonner le piano. Jean rejouait, pour lui et pour Madeleine, les danses de tantôt, les airs fanés et brillants où un peu de sa vie et un peu de son bonheur avaient tenu, il se berçait de leurs harmonies faites de souvenirs et de regrets, les valses devenaient tristes et pleuraient sous ses doigts, et alanguis par la senteur âcre des roses qui se détruisaient, seuls tous deux avec le cadavre de Madame de Pleurre, nous songions à nous et à elle, et à tout ce que la vie emporte chaque jour de ce que nous avons mis dans ses mains capricieuses, de ce que nous y avons aimé, étreint ou désiré. Et cette musique légère et futile nous rappelait irréparablement le vide que nous cachons au fond de nos âmes, toujours insatisfaites, et que ce que nous avons de plus sûr et de plus précieux au