Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/130

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qui me prenez-vous ? Vous imaginez-vous, par hasard, que je vais obéir ? N’était le respect que je lui dois, j’aurais répondu à mon père : « Mon vieux Charlemagne, vous êtes un grand roi et vous possédez une barbe florie que j’envie fort, mais votre présence ici est un anachronisme, ne l’oubliez pas, et ne nous forcez pas à vous le rappeler. Retournez dans une chanson de geste et ne vous occupez pas de moi… » Mais je me suis contenté de lui dire : « Quand vous voudrez que je me marie, monsieur mon père, commencez par me laisser libre, car il me suffira que vous me présentiez une jeune fille pour que je la refuse… »

— Sylvestre, dit Andréa, on ne sait jamais si vous parlez sérieusement ou si vous plaisantez. Ne causez donc pas à Virginie des frayeurs pareilles.

— Ma chère, Charlemagne m’a déniché quelque part, je ne sais où, une de ces perles, si fréquentes dans les huîtrières des familles bourgeoises. Elle se nomme Marguerite Sorémy, elle est, paraît-il, fort riche, et son père a une vaste propriété dans l’Hérault. La reine mère a pris des informations, et ce parti-là est tout ce qu’il me faut.

— Comment avez-vous le cœur de plaisanter ? dit Virginie. C’est très grave.

— Mon cher bijou d’amie, fit le jeune homme en s’accoudant à la table, il est bon de savoir plaisanter des choses sérieuses ; elles s’acceptent avec moins de peine. De quoi plaisanterait-on, sinon d’elles ?

Sylvestre Legoff vit des larmes dans les yeux de Virginie, il s’élança vers la jeune fille et s’assit à son côté en lui entourant la taille.

— Mais, Sensitive, comment pouvez-vous pleurer pour si peu de chose ? Ne voyez-vous pas que je ris, parce que tout cela m’est indifférent, parce que je ne veux pas entendre parler de cette petite Sorémy, quand elle serait mille fois plus perlière, vingt mille fois plus huître et cent mille fois plus riche ? Comme s’il y avait pour moi sur la terre d’autres femmes que vous !

Il la serrait contre lui et la berçait doucement. Elle s’apaisait sur cette forte poitrine d’homme comme une enfant sur le sein de sa mère.