Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/185

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gouailleur, en souriant, l’œil sur son image moqueuse, alerte et fine.

— Bonjour, madame. — Comment, c’est vous, Mme Augulanty ? Je ne vous aurais pas reconnue. — J’ai un peu vieilli, madame. Vous savez, les soucis ! — Ce sont là vos trois enfants, madame ? Oh ! les mignons ! Mais comme ils sont drôlement vêtus ? Qu’est-ce que c’est que ces costumes bariolés ? — Ne faites pas attention, madame, je n’ai pas les moyens de les habiller autrement. Je me fais donner par les tapissiers des bouts de rouleaux de papiers peints. — Mais, alors, madame, vous êtes dans la misère ? — Mon Dieu, oui, nous avons si peu d’élèves, mais qu’importe, Dieu est avec nous ! — Mais il faut manger ! — Oh ! madame, mon mari est si bon chrétien ! — Et se loger ? — Oh ! madame, Félix est si honnête ! — Et s’habiller ? — Les qualités morales de mon mari nous suffisent bien ! — Et élever vos enfants ? — Ils sont déjà élevés. Mon aîné, que vous voyez là, habillé d’un papier noir à chimères d’or, disait Rosa la rose avant de prononcer Papa et Maman ; à deux ans, il récitait le verbe luo, sans faute, et quand on lui demandait : « Où vas-tu ? », il répondait « Eo Romam » et expliquait la règle. Mon second, qui est enveloppé d’une toge rouge à grandes tulipes bleues, rase déjà comme un homme. Il coupe les cheveux à ses frères, et si, parfois, il rogne un peu les oreilles de son aîné, c’est un bien. Elles deviendraient trop longues à force d’appartenir à un tel savant ! Quant au troisième, il ne sait que saluer, faire des courbettes, complimenter, montrer ses dents en souriant, porter une tasse de thé, c’est un homme du monde accompli, c’est tout son père, et il n’a que trois ans !

Virginie pouffait de rire en voyant la mine vexée de Mme Pioutte, qui lui dit douloureusement :

— Tu me causes beaucoup de peine, ma fille. Je crois de mon devoir de te faire profiter de mon expérience, en te renseignant et en te donnant de sages conseils. J’ai remarqué que ce jeune homme avait toutes les qualités nécessaires pour devenir un bon mari, et voilà que…

— Allons, maman, entre nous, combien t’a-t-il versé pour lui battre une telle réclame ? Nous verrons bientôt