Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de voleurs gracieux dont chacun emportait dans son cristal, son bois ouvragé, ou son bronze, un peu de l’argent du Crédit Parisien, un peu de la fortune de l’abbé Bonsignour et de la sienne, et surtout, beaucoup de la considération, de la vertu et de la probité de Louis Caillandre et de Cécile.

Un examen plus approfondi révéla aux regards de l’abbé des nudités qui le scandalisèrent. Quel plaisir une honnête femme et un honnête homme, élevés chrétiennement, prenaient-ils à voir tant d’indécences ? Sur le piano, la Diane de Falguière, que l’on trouve dans tous les salons bourgeois, élargissait l’arche immense de ses jambes et courait, les seins tendus. Une femme nue soutenait le globe de la grande lampe, posée au milieu d’une table. Devant un miroir, une figure lunaire, adossée à un croissant, exhibait une poitrine dorée. Des sirènes tordaient leurs croupes dans l’étain d’un vase à lourde panse, une autre cambrait son torse au fond d’un cendrier d’argent. Une baigneuse de terre cuite, comme rouge de honte, tâtait d’un pied fin l’eau fictive et profonde d’un guéridon de laque.

Des arabesques, ici et là, se terminaient par la ligne fuyante d’une jambe svelte, par la courbe d’une épaule polie ou les rondeurs de deux cuisses grasses. Tout cela blessait les yeux du prêtre. Il lui paraissait que toutes les tentations auxquelles il avait volontairement renoncé venaient encore tourner autour de lui, comme pour l’inviter à entrer dans leurs jeux, avec un rire ironique, insultant pour les idées qui l’avaient aidé à les repousser.

— Ce n’est pas l’appartement d’une honnête femme, se disait Théodore Barbaroux, qui s’irritait de sentir sous ses pas l’épaisseur élastique et molle du tapis profond, non, ce n’est pas là l’appartement d’une honnête femme. Ah ! je ne suis donc plus de cette époque-ci ? Je commence à croire que je n’y comprends rien. À quoi tout cela mène-t-il ? Quelles mœurs peut-on avoir dans ce luxe effréné de décadence ?

Et il comparait à ce salon la pièce où recevait sa mère, un vaste appartement aux mallons usés et blanchis, avec un petit carré de sparterie devant la cheminée,