Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/210

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— Je ne serais pas venu, Cécile, Dieu m’en est témoin, si je n’avais eu à te demander un renseignement d’une importance capitale.

Pendant l’homélie de son oncle, Cécile s’était contentée de regarder de tout près ses ongles roses et polis, avec une attention minutieuse et le désir de mirer, dans leurs petits miroirs convexes, son ardente figure blanche et ses cheveux tissés de nuit.

— Combien as-tu reçu de dot, en te mariant, Cécile ? demanda l’abbé Théodore, d’une voix que l’émotion et l’angoisse saccadaient.

— Mais, mon oncle, s’exclama Cécile, vous devez le savoir mieux que personne !

— Il paraît que non, Cécile, puisque je te le demande.

— J’ai reçu cinq mille francs.

Trompé par la sonorité presque identique des mots, le vieil oncle s’écria avec une joie et un soulagement infinis :

— Vingt mille francs, Cécile, vingt mille francs ! Ah ! je savais bien que…

— Mais non, mon oncle, cinq mille, interrompit Cécile, en appuyant sur les mots. Comment ne le savez-vous pas ?…

Une affreuse pâleur avait couvert la figure inquiète de l’abbé.

— Cinq mille ! cria-t-il avec désespoir. Ah ! tu ne sais pas, Cécile, ce qu’on peut faire souffrir un homme avec un seul mot ! Il me semble que je viens de recevoir… un coup là… dans le cœur ! Puisque cela est vrai, tout le reste est donc vrai aussi, tout ! Oh ! quelle honte ! — Mais dis-moi que ce n’est pas vrai, Cécile, s’exclama-t-il, avec un air égaré, dis-moi que tu t’es trompée, que tu ne te souviens pas, que tu as voulu me faire une plaisanterie. Mais ne me dis pas que c’est vrai !

— Vous aviez donné davantage ? interrompit Cécile, qui suivait avec attention les paroles incohérentes de son oncle et s’efforçait d’entrevoir la vérité.

— J’avais donné vingt mille francs, Cécile ! tout ce que m’avait rapporté l’hypothèque de la maison…

— À qui avez-vous donc remis cet argent ?