— Tu es folle, fit Mme Pioutte, ravie d’avoir enfin brisé la résistance de sa fille, mais inquiète de voir la façon dont elle s’exaltait, ne dis donc pas tant de bêtises. Il était en fureur, tu sais, il a dit cela dans un moment de colère. Il doit le regretter. Au fond, il n’en pense rien…
— Si, il le pense. C’est quand on est en colère qu’on dit la vérité. Tout le reste du temps, on ment.
— Écoute, Cécile, j’espère que tu ne vas pas lui en vouloir. N’oublie pas ce qu’il a fait pour nous. Il ne vous a jamais reproché vos dépenses, jusqu’ici, et Dieu sait que vous n’y mettiez guère de modération, cependant. Mais il a eu un instant de rage, quand il a su ton entêtement…
— Pourquoi le lui as-tu dit ? As-tu besoin de tout lui raconter ? D’ailleurs, inutile de revenir là-dessus. Je me marie. Ma décision est prise. Et tu sais que je ne reviens jamais sur une décision. Je ne serai plus à la charge de mon oncle, je le débarrasserai de ma présence. Mais écoute ceci, maman, vous me forcez, ton frère et toi, à un mariage dont je ne voulais pas entendre parler. Je vous obéis, je me marie contrainte et forcée. Sa responsabilité retombe entièrement sur vous, avec toutes ses conséquences…
— Que veux-tu dire ?
— Je ne veux pas subir plus tard un seul de vos reproches. N’oubliez pas que, seuls, vous aurez voulu ce mariage.
— Tu seras une honnête femme, je pense, dit Mme Pioutte, avec solennité.
— Je ne suis pas une honnête femme en prenant, parce qu’il me nourrira, un homme que je méprise. Cela s’appelle de la prosti…
— Tais-toi, Cécile, il y a des mots qu’on ne prononce pas, interrompit majestueusement Mme Pioutte. Ah ! je suis fièrement contente que tu te maries, avec la nature que je découvre en toi depuis quelques jours et que j’étais loin de soupçonner, pauvre innocente que j’étais ! c’est un fameux souci de moins que de te savoir casée… Je ne sais vraiment ce que tu as, tu t’exprimes comme une domestique ! Ce sont tous ces sales livres que tu lis.