remarqua que les Farnarier, qui n’avaient aucun usage du monde et qui trouvaient sans doute, dans leur sainte innocence, qu’il était inconvenant et même sale de laisser les os de la volaille au bord de leur assiette, avaient coutume de les jeter sous la table, où ils tachaient de graisse les robes de leurs voisines.
À dater de ce jour, Louis Caillandre vint passer ses soirées à la rue Saint-Savournin. L’abbé Barbaroux, toujours préoccupé de ses élèves, ne faisait dans le salon que de brèves apparitions. Mme Pioutte trônait. Mme Maubernard et Mme Hampy assistaient fréquemment à ces réunions, et M. Caillandre les raccompagnait chez elles, en s’en allant.
Deux fois par semaine, le fiancé envoyait un bouquet de fleurs à Cécile, et quand il arrivait après le dîner, à neuf heures, il ne manquait pas de lui demander si elle avait pris soin de le mettre dans l’eau. Il lui indiquait différentes façons de le conserver, lui recommandant l’eau tiède, ou savonneuse, ou semée de charbon. Il savait aussi des recettes de confiture et les communiquait avec plaisir.
Durant ces entrevues, Cécile Pioutte ne modifia pas son premier jugement sur son fiancé. Elle le trouvait correct, sérieux, de bonne éducation, mais affreusement banal. Il appartenait à cette classe de gens qui acceptent toutes les opinions médiocres sans les réviser, qui n’ont jamais une idée originale, ni une vue personnelle, ni une réflexion qui indique chez eux un esprit particulier. Il semble que tous ces êtres-là n’ont qu’une même cervelle pour eux tous et qu’ils y puisent ensemble les mêmes pensées. Sur quelque sujet de conversation qu’on le mît, on pouvait s’attendre à ce qu’il dirait, on en était sûr d’avance. Il réglait sa vie, ses actes, ses idées, avec des principes rigoureusement établis, mais qu’il n’avait pas choisis lui-même. C’était presque un être anonyme, il était là pour boucher un trou, pour faire foule. Mme Pioutte avait pour lui beaucoup d’estime. N’était-il pas le jeune homme modèle, celui que toutes les mères désirent pour leur fille, travailleur, pratique, économe, ordonné, vertueux, méthodique, intolérant pour ceux qui ne lui res-