Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/76

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sans trop savoir à quoi il s’exposait. Alors M. Peloutier après avoir exécuté toutes les attitudes de la fausse modestie, s’avança au milieu du salon, et, l’œil vague, ses longs cheveux rejetés en arrière, la main enfoncée entre le deuxième et le troisième bouton de sa redingote, commença de débiter son fameux poème.

Derrière le dos de Virginie Pioutte, qui avait peine à garder son sérieux, M. Augulanty et M. Bermès se tordaient de rire. Mais le reste de l’assistance admirait, surtout quand M. Peloutier, levant les yeux au ciel, dont un plafond à peintures prétentieuses faisait, en ce moment, l’intérim, chanta sa bien-aimée :

Deux sont ces yeux divins remplis d’un sombre azur
Plus purs que n’est le ciel quand le beau jour est pur !

Et dans la gloire qui rejaillissait sur son mari et sur leur père, la douce Mme Peloutier, qui était borgne, et ses quatre filles, longues, raides, fagotées et roussottes, rayonnaient doucement sous les éclairs que jetaient sur elles les regards inspirés du poète qu’elles adoraient et dont l’égoïsme féroce exploitait leur tendresse et leur bonté et en tirait autant de bénéfices que s’il possédait une terre ou un capital, au lieu de quatre enfants.

Quand le poète eut fini, chacun applaudit à tout rompre, moins par admiration peut-être que par satisfaction de savoir qu’il n’y avait plus rien à écouter. Ce fut le signal de la débâcle, chacun se retira. Il était sept heures. M. et Mme Louis Caillandre venaient de partir pour faire un classique petit voyage de noces en Italie, où ils devaient rester une quinzaine de jours.


X

LE DIGNE MONSIEUR AUGULANTY


Félix Augulanty avait pour père un perruquier d’Aix en Provence. Des prêtres, qui fréquentaient la boutique paternelle, remarquèrent son intelligence et obtinrent