Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Je ne peux pas commencer. Il faudra que j’envoie en ville. »

À ces mots, un grognement général se fit entendre, accompagné de maints reproches. Il laissa passer, puis s’expliqua, toujours de son air préoccupé :

« L’histoire est écrite. Elle est dans un tiroir fermé à clef. Elle n’en est pas sortie depuis des années. Mais je pourrais écrire à mon domestique et lui envoyer la clef : il m’enverrait le paquet tel qu’il est. »

Il semblait m’adresser cette proposition en particulier, il semblait presque implorer mon aide pour mettre fin à ses hésitations. La couche de glace était brisée qui l’emprisonnait, amoncelée par tant d’hivers. Il avait eu ses raisons pour garder ce long silence. Les autres regrettaient le retard, mais moi, je m’enchantais de ses scrupules mêmes. Je l’adjurai d’écrire par le premier courrier, et de s’entendre avec nous pour convenir d’une prompte lecture. Et je lui demandai si l’expérience en question avait été proprement la sienne. Sa réponse ne se fit pas attendre :

« Non, grâce à Dieu !

— Et le récit est-il de vous ? Vous avez noté la chose vous-même ?

— Je n’ai noté que mon impression. Je l’ai inscrite là — et il se toucha le cœur. — Je ne l’ai jamais perdue.

— Alors votre manuscrit ?

— L’encre en est vieille et pâlie… l’écriture admirable…

De nouveau, il tournait autour du sujet, avant de répondre :

— C’est une écriture de femme, d’une femme morte depuis vingt ans. Sur le point de mourir, elle m’envoya les pages en question. »

Nous écoutions tous maintenant et, naturellement, il se trouva quelqu’un pour faire le plaisantin, ou, du moins, tirer de ces phrases l’inévitable conséquence. Mais s’il écarta la conséquence sans sourire, il ne montra non plus aucune irritation.

« C’était une personne délicieuse, mais de dix ans plus