Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/40

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Je les admirais, j’en rêvais même, car elles nous frappaient tous, surtout quand elles surgissaient dans l’ombre, par la proportion démesurée de leurs créneaux. Néanmoins, ce n’était pas à cette hauteur insolite que la figure, si souvent invoquée par moi, semblait le mieux à sa place. Elle produisit en moi, cette figure, dans le clair crépuscule, je m’en souviens, deux vagues d’émotion bien distinctes. En somme, elles ne furent que le sursaut qui suivit ma première, puis ma seconde surprise. La seconde fut la perception violente de l’erreur de la première. L’homme que je voyais n’était pas la personne que j’avais précipitamment cru devoir être là. J’en éprouvai un bouleversement de mes facultés visuelles, tel qu’après tant d’années écoulées je ne puis en trouver l’équivalent. Un homme inconnu, dans un lieu solitaire, constitue, on l’admettra, un objet propre à effrayer une jeune personne élevée dans le sein de sa famille, et la figure qui se dressait devant moi — quelques secondes suffirent à m’en assurer — ressemblait aussi peu à toute autre personne de ma connaissance qu’à celle dont l’image remplissait mon esprit. Je ne l’avais pas vue à Harley Street, je ne l’avais vue nulle part. De plus, le lieu même, de la façon la plus étrange du monde, s’était transformé, en un instant et par le fait de l’apparition, en une solitude absolue. Et pour moi, tout au moins, — pour moi qui m’applique à recomposer mes impressions d’alors avec une réflexion délibérée que je n’y ai encore jamais apportée, — la sensation de ce jour-là me revient tout entière. C’était, — tandis que je m’imprégnais avidement de tout ce que mes sens pouvaient saisir, — c’était comme si tout le reste de la scène eût été frappé de mort. Tandis que j’écris ceci, j’entends de nouveau l’intense silence où s’évanouirent les bruits du soir. Les corneilles ne croassèrent plus dans le ciel d’or, et, pendant une indicible minute, l’heure exquise n’eut plus de voix. Mais il n’y avait point d’autre changement dans la nature, à moins que ce n’en fût un de voir, comme je voyais maintenant, avec une si étrange