Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/39

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propres yeux, comme une jeune femme remarquable, et la pensée que, tôt ou tard, cela se saurait publiquement, m’était d’un grand réconfort. Eh bien oui, il fallait être remarquable pour affronter les événements remarquables qui allaient se présenter.

Ce fut, un jour, au beau milieu de mon heure de récréation ; les enfants étaient bordés dans leurs lits, et j’étais sortie faire mon tour. L’une des pensées qui m’accompagnaient dans ces flâneries — je ne rougis nullement de le dire aujourd’hui — était que ce serait charmant, aussi charmant qu’un roman, de rencontrer subitement quelqu’un.

Quelqu’un apparaîtrait là, au tournant d’une allée, devant moi, et, avec un sourire, me donnerait son approbation. Je n’en demandais pas davantage : qu’il « sût », seulement ; et la seule façon d’être certaine qu’il sût, serait de le lire sur son beau visage, lumineux et bon.

Tout cela était exactement présent à mes yeux — je veux dire l’image que je suscitais — la première fois que se produisit un de ces remarquables événements. C’était à la fin d’un long jour du mois de juin : je m’arrêtais net, au tournant d’un massif, en vue de la maison. Ce qui m’avait clouée au sol, en proie à un bouleversement qu’aucune vision ne suffisait à expliquer, était la sensation que mon imagination, en un éclair, avait pris corps. Il était là ! mais très haut, au-delà de la pelouse, au sommet de la tour où m’avait conduite la petite Flora, le premier matin. Cette tour faisait pendant à une autre tour semblable ; c’étaient deux constructions carrées, à créneaux, sans aucun rapport avec le reste de l’architecture ; pour une raison à moi inconnue, on les dénommait, l’une, l’ancienne, l’autre, la nouvelle tour. Elles flanquaient deux côtés opposés de la maison, et n’étaient probablement que deux aberrations d’architecte, sauvées tout de même un peu, en ce qu’elles n’étaient pas tout à fait isolées, ni d’une élévation trop prétentieuse ; leur fausse antiquité, d’ailleurs, datait de l’époque romantique, déjà devenue du respectable passé.