Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/49

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en un instant, je fus dehors ; longeant la terrasse, en courant aussi vite que je le pouvais, je tournai le coin et embrassai toute la façade d’un coup d’œil. Mais le coup d’œil ne me révéla rien : mon visiteur s’était évanoui.

Je m’arrêtai net : dans mon soulagement, je tombai presque par terre. Mais toute la scène me demeurait présente : j’attendais, lui donnant le temps de réapparaître.

Du temps, dis-je, mais combien de temps ? Je ne peux vraiment pas, aujourd’hui, évaluer avec exactitude la durée de ces événements. Sans doute, j’avais alors perdu la notion de la mesure : ils n’ont pu durer le temps qu’ils m’ont semblé durer. La terrasse et tout ce qui l’entourait, la pelouse et le jardin, tout ce que je pouvais voir du parc, étaient vides, d’un vide immense. Il y avait des taillis, et de grands arbres, mais je me rappelle ma certitude intérieure bien nette qu’il n’y était point caché. Il était ici, ou nulle part ; si je ne le voyais pas, c’est qu’il n’était pas là. Je m’attachai énergiquement à cette idée, puis, instinctivement, au lieu de retourner comme j’étais venue, j’allai à la fenêtre ; je sentais confusément qu’il fallait aller me placer, là même où il s’était mis. Je le fis. J’appuyai mon visage contre la vitre, et regardai, comme lui, dans la chambre. Juste à ce moment, comme pour me faire juger quelle avait été la portée de son regard, Mrs. Grose, ainsi que j’avais fait, entra, venant du hall. J’eus ainsi la répétition parfaire de la scène qui s’était passée. Elle me vit, comme j’avais vu mon propre visiteur. Elle s’arrêta net, comme j’avais fait. Je lui faisais éprouver quelque chose comme le choc qui m’avait frappée moi-même. Bref, elle regarda de tous ses yeux, puis se retira, exactement comme moi, et je compris qu’elle sortait de la maison pour me rejoindre et que j’allais la voir. Je demeurai là où je me trouvais et, tandis que je l’attendais, plus d’une pensée me traversa l’esprit. Mais je n’en veux citer qu’une : je me demandais pourquoi, elle aussi, était bouleversée.