Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/65

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sentisse suffisamment calmée pour décider de ce que j’allais faire. Il y avait là un objet étranger, une figure dont je contestai le droit à être là, immédiatement et passionnément. Je me rappelle comment je m’énumérai tous les cas possibles, remarquant en moi-même que, par exemple, rien n’était plus naturel que la présence en cet endroit d’un des hommes attachés à la propriété, ou même d’un messager, d’un facteur, du garçon, d’un fournisseur du village. Mais cette remarque fit aussi peu d’impression sur ma conviction présente — j’en étais certaine, sans avoir encore levé les yeux — que sur le caractère et l’attitude de notre visiteur. Rien n’était plus naturel que ces choses fussent justement ce qu’elles n’étaient absolument pas.

Pour que je m’assurasse de l’identité positive de l’apparition, il aurait fallu que l’heure de l’action eût sonné à la pauvre horloge de mon courage ; en attendant, avec un effort qui me coûta déjà beaucoup, je transférai mon regard sur la petite Flora, qui, à ce moment, jouait à dix mètres de moi. Un instant, mon cœur cessa de battre, de terreur et d’anxiété, tandis que je me demandais si elle aussi voyait quelque chose ; et je retenais mon souffle, attendant ce qu’un cri, ce qu’un signe naïf et subit, soit de surprise, soit d’alarme, allait me révéler. J’attendis : mais rien ne vint ; puis — et il y a là, je le sens, quelque chose de plus sinistre que dans tout le reste — je fus envahie tout d’abord par le sentiment que, depuis une minute, elle était tombée dans un silence absolu ; j’observai ensuite que, depuis une minute également, elle avait, dans son jeu, tourné le dos à l’étang. Quand je me décidai enfin à lever les yeux sur elle, avec la conviction assurée que nous étions toujours, toutes deux, soumises à une observation directe et personnelle, voici qu’elle était exactement sa posture : elle avait ramassé un petit bout de bois plat, percé d’un petit trou, qui lui avait évidemment suggéré l’idée d’y enfoncer un autre fragment simulant un mât, et pouvant ainsi lui servir de bateau.