Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/95

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d’un manteau. Cachée, protégée, absorbée, elle s’appuyait, évidemment, sur le rebord de la fenêtre — laquelle s’ouvrait en dehors — et se livrait, tout entière. Une grande lune paisible lui venait en aide et ç’avait été une raison de plus pour hâter ma décision. Elle était face à face avec l’apparition que nous avions rencontrée près du lac, et pouvait communiquer avec elle comme elle n’avait alors pas pu le faire. Quant à moi, il me fallait, maintenant, atteindre à travers le corridor, sans déranger l’enfant, une autre fenêtre avec la même vue. Je gagnai la porte sans être entendue, je sortis, la fermai, et, de l’autre côté, j’écoutai si quelque son se faisait entendre.

Tandis que j’étais là, dans le couloir, mes yeux tombèrent sur la porte de son frère, qui n’était qu’à dix pas, et qui, d’une manière inexprimable, éveillait de nouveau en moi cette étrange impulsion que j’ai appelée ma tentation. Qu’arriverait-il si j’entrais tout droit et allais à sa fenêtre à lui ? Si, me risquant à dévoiler le motif de ma conduite à sa stupéfaction de gamin, je me trouvais jeter le lasso de mon audace à travers le reste du mystère ? J’étais possédée de cette idée au point de m’avancer jusqu’à son seuil. Là je m’arrêtai, de nouveau.

L’oreille tendue à l’extrême limite de mes forces, je me figurais des choses prodigieuses ; je me demandais si son lit aussi était vide, et lui aussi secrètement au guet. Cela dura une minute silencieuse et profonde, à l’expiration de laquelle l’impulsion m’avait abandonnée. Il était tranquille. Il pouvait être innocent. Le risque était monstrueux : je me détournai. Oui, certes, il y avait une figure au milieu des parterres : une figure qui rôdait pour obtenir un regard, un visiteur auquel Flora répondait. Mais ce visiteur n’avait pas affaire à mon garçon. De nouveau, j’hésitai — mais pour d’autres raisons — et seulement quelques secondes : mon choix était fait.

Les chambres vides ne manquaient pas à Bly, toute la question était de choisir la bonne. Tout à coup, je me rendis compte que la meilleure était la chambre d’en bas