Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/23

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Je compris qu’on désirait me remettre à ma place, mais je m’écriai avec bonne humeur, en me tournant vers Miss Tina :

— Oh ! cela ira aussi bien avec vous ! et je lui serrai la main (ce à quoi elle acquiesça avec une légère agitation). Oui, oui, pour montrer que tout est bien arrangé !

— Apportez-vous la somme en or ? demanda Miss Bordereau au moment où je me dirigeais vers la porte. Je la regardai un moment :

— N’avez-vous pas peur, après tout, de garder tant d’argent dans la maison ?

Je n’étais pas troublé par son avidité, mais réellement frappé de la disparité entre une somme pareille et le peu de moyens qu’on avait de la sauvegarder.

— De qui pourrais-je avoir peur, du moment que je n’ai pas peur de vous ? demanda-t-elle avec son amertume recuite.

— C’est bien, dis-je en riant. Au fait, je serai un protecteur et je vous apporterai de l’or si vous le préférez.

— Merci, répliqua dignement la vieille femme avec une inclination de tête qui était évidemment un congé. Je sortis de la chambre, en songeant qu’il serait dur de la circonvenir.

J’étais de nouveau dans la salle lorsque je vis que Miss Tina m’avait suivi, et je supposai que, puisque sa tante avait négligé de m’inviter à visiter mes futurs appartements, elle se proposait de réparer cette omission. Mais elle ne me fit aucune ouverture à ce sujet ; elle se bornait à rester debout devant moi avec un sourire non pas langoureux, mais effacé : elle donnait une impression de jeunesse irresponsable et incompétente, qui faisait une opposition comique avec l’aspect fané de sa personne. Elle n’était pas infirme, comme sa tante, mais sa futilité me sembla plus accentuée, parce que sa faiblesse était intérieure, ce qui n’était pas le cas avec Miss Bordereau. J’attendis pour voir si elle m’offrirait de me montrer le reste de la maison, mais je ne me hâtai pas de poser la question, d’autant plus qu’à partir de ce moment, tout mon plan consistait à passer le plus de temps