Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VI

Un après-midi enfin, comme je descendais de mes appartements pour sortir, je la trouvai dans la sala. Depuis mon entrée dans la maison, c’était notre première rencontre sur ce terrain. Elle n’affecta pas d’être là par hasard ; son honnête et fruste gaucherie ignorait les artifices. Afin que je fusse bien sûr qu’elle m’attendait, elle me l’annonça immédiatement, mais en ajoutant que miss Bordereau désirait me voir ; elle me mènerait auprès d’elle tout de suite si j’en avais le temps. Eussé-je été en retard pour un rendez-vous d’amour, je serais demeuré pour cette visite, et j’exprimai sur-le-champ tout le plaisir que je prendrais à me mettre aux pieds de ma bienfaitrice.

— Elle désire causer avec vous, vous connaître, dit Miss Tina, souriant comme si elle approuvait cette idée, et elle me conduisit à la porte de l’appartement de sa tante.

Je l’arrêtai un moment avant qu’elle l’ouvrît, la regardant avec curiosité. Je lui dis que c’était pour moi une grande satisfaction et un grand honneur ; mais tout de même j’aimerais bien savoir ce qui avait pu changer Miss Bordereau à un tel point. C’était seulement l’autre jour qu’elle ne voulait pas me souffrir près d’elle. Miss Tina ne fut pas embarrassée par ma question : elle apportait la même aisance dans des explications sereines et inattendues, assez plausibles d’ailleurs, que dans de petites faussetés ; mais ce qui était vraiment étrange, c’est que tout cela prenait sa source dans sa sincérité.

— Oh ! ma tante varie, répondit-elle. Sa vie est tellement ennuyeuse ! Je pense qu’elle en est fatiguée.

— Mais vous disiez qu’elle demandait de plus en plus à être laissée seule.