Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/56

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Elle me tint un moment en suspens, puis elle dit :

— Est-ce très nécessaire à votre bonheur ?

— Cela me plaît plus que je ne saurais dire.

— Vous êtes incroyablement poli, vous ne voyez pas que cela me tue à peu près ?

— Comment puis-je croire une chose pareille quand je vous vois plus animée, plus brillante qu’à mon entrée ?

— C’est très vrai, tante, dit Miss Tina, je crois que cela vous fait du bien.

— N’est-ce pas touchant, cette sollicitude que chacune de nous montre pour le plaisir de l’autre ? ricana Miss Bordereau. Si vous me trouvez brillante aujourd’hui, cela prouve que vous ne savez de quoi vous parlez : vous n’avez jamais vu une femme agréable.

« Qu’est-ce que vous connaissez en fait de grand monde, vous autres ? » s’écria-t-elle, mais avant que je pusse le lui dire : « N’essayez pas de me faire un compliment ; j’ai été gâté là-dessus, continua-t-elle ; ma porte est fermée à tout le monde, mais vous pouvez y frapper quelquefois. »

Avec ces mots elle me congédia et je quittai la chambre. Le loquet retomba derrière moi, mais Miss Tina, contrairement à ce que j’espérais, resta à l’intérieur. Je traversai lentement la grande salle, et, avant de descendre, j’attendis un peu. Mon espoir fut rempli ; une minute plus tard, mon introductrice me suivait.

— C’est une excellente idée que celle de la Piazza, dis-je. Quand voulez-vous y aller ? ce soir ? demain ?

Elle était désemparée, ainsi que je l’ai déjà dit ; mais j’avais déjà observé, et je devais l’observer encore, que, quand Miss Tina était embarrassée, elle ne se détournait pas, en hésitant et en s’interrompant, comme la plupart des femmes, mais s’approchait, plutôt avec une espèce d’appel suppliant et enveloppant, pour être épargnée et protégée. Ses attitudes étaient une prière constante, implorant à la fois une aide et une explication, et cependant nulle femme au monde ne fut jamais moins comédienne. À partir du moment où vous lui aviez montré quelque bonté, elle s’abandonnait à vous complè-