Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/63

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— Mais je n’ai aucune autorité sur elle, dit Miss Tina. C’est elle qui exerce la sienne sur moi.

— Mais elle ne peut l’exercer sur ses bras et ses jambes, n’est-ce pas ? La manière dont elle détruira le plus naturellement ses lettres sera de les brûler. Or, elle ne peut les brûler sans feu, et elle ne peut avoir de feu que si vous lui en procurez.

— J’ai toujours fait tout ce qu’elle m’a demandé, plaida ma pauvre amie. Et puis, il y a Olimpia.

Je fus sur le point de dire qu’Olimpia était probablement corruptible, mais je jugeai préférable de ne pas pincer cette corde pour le moment. Je dis simplement que cette faible créature pourrait sans doute être endoctrinée.

— Ma tante endoctrine qui elle veut, dit Miss Tina. Puis elle se rappela que son congé tirait à sa fin : il fallait rentrer. Je posai ma main sur son bras, à travers la table, pour la retenir un instant :

— Ce que je veux de vous est une promesse de m’aider, d’une façon générale.

— Mais comment, comment le puis-je ? » demanda-t-elle songeuse et troublée. Elle était à demi surprise, à demi effrayée de l’importance que je lui donnais, de cet appel à son action propre.

« Voici la chose principale : surveiller soigneusement notre amie et m’avertir à temps, avant qu’elle commette l’affreux sacrilège.

— Je ne peux pas la surveiller quand elle me dit de sortir.

— C’est très vrai.

— Et que vous sortez avec moi.

— Dieu nous protège ! croyez-vous qu’elle ait fait quelque chose ce soir ?

— Je ne sais pas, elle est très rusée.

— Vous essayez de me faire peur ? demandai-je.

La seule réponse de Miss Tina à cette question — mais elle me suffit — fut de murmurer sur un ton rêveur et presque envieux :

— Mais elle les aime ! elle les aime !

Cette réflexion, répétée avec solennité, me combla d’aise, et, pour obtenir davantage de ce baume, je dis :

— Si elle n’a pas l’intention de détruire avant sa mort les objets dont nous parlons, elle en aura probablement disposé par testament.

— Par testament ?

— N’a-t-elle pas fait un testament en votre faveur ?