Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/62

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Elle m’écoutait avec son expression habituelle, comme si je discourais sur des sujets dont elle n’aurait jamais entendu parler, et je me sentais l’âme aussi basse qu’un reporter qui pénètre de Force dans une maison en deuil. Cette sensation fut justifiée quand elle reprit :

— Il y a quelque temps, un monsieur lui a écrit à peu près en ces termes ; lui aussi désirait ses papiers.

— Et lui a-t-elle répondu ? demandai-je, un peu honteux de n’avoir pas imité la franche conduite de mon ami.

— Seulement après qu’il lui eut écrit deux ou trois fois. Il l’a beaucoup fâchée.

— Et qu’en a-t-elle dit ?

— Elle a dit qu’il était un animal, répondit catégoriquement Miss Tina.

— Elle a employé cette expression dans sa lettre ?

— Oh ! non, elle me l’a dit, à moi. C’est moi qu’elle a chargée de lui répondre.

— Et que lui dîtes-vous ?

— Je lui dis qu’il n’existait aucun papier.

— Ah ! le pauvre garçon ! soupirai-je.

— Je savais bien qu’il en existait, mais j’ai écrit d’après ses ordres.

— Naturellement, vous n’aviez que cela à faire. Mais j’espère que je ne vais pas être traité d’animal.

— Cela dépend de ce que vous me demanderez de faire pour vous ; et ma compagne sourit.

— Oh ! s’il y a seulement l’ombre d’une chance que vous pensiez ainsi de moi, mon affaire est en mauvaise voie ! Je ne vous demanderai pas de voler pour moi, ni même de tricher — car vous êtes incapable de tricher, excepté sur le papier. Mais l’important c’est que vous l’empêchiez de détruire les papiers.