Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/65

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VII

La crainte de ce qu’un tel caractère pouvait lui avoir fait exécuter me hanta pendant les jours qui suivirent. J’attendais un signe de Miss Tina ; je considérais presque comme son devoir de me tenir au courant, de me faire savoir définitivement si Miss Bordereau avait, ou non, sacrifié ses trésors. Mais, voyant qu’aucun signe ne venait, je me décidai à m’éclairer par mes propres moyens. Une fin d’après-midi, j’envoyai demander si je pouvais rendre visite à ces dames, et mon domestique revint avec les plus surprenantes nouvelles : Miss Bordereau pouvait être approchée sans la moindre difficulté ; elle avait été amenée à la sala et était assise auprès de la fenêtre qui donnait sur le jardin.

Je descendis et je vis que le tableau était exact : la vieille dame avait été brouettée jusque dans le monde, et avait un certain air — qui venait peut-être surtout de quelque élégance dans ses vêtements — de vouloir s’y mêler de nouveau. Le monde, cependant, n’avait pas encore commencé à affluer : elle était absolument seule, et, bien que la porte qui menait à ses appartements fût restée ouverte, je n’aperçus pas tout d’abord Miss Tina. La fenêtre où elle était assise était à l’ombre l’après-midi ; on avait ouvert une persienne, et elle pouvait voir le joli jardin, où le soleil de l’été avait, maintenant, desséché bien des plantes ; elle y pouvait voir la lumière dorée et les longues ombres.

— Venez-vous me dire que vous gardez les chambres six mois de plus ? demanda-t-elle comme je l’approchais.

Je fus saisi par une sorte de vulgarité dans son avarice, presque autant que si elle ne m’en eût pas encore offert de spécimen. Ce désir de Juliana de rendre nos relations lucratives m’apparaissait — je l’ai suffisamment répété — comme une fausse note dans l’image harmonieuse que je me faisais de la femme qui avait inspiré au grand poète des lignes immortelles. Mais je dois dire ici, d’une façon définitive, qu’après tout, il y avait bien des raisons de l’excuser. C’était moi qui