Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/84

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de cette façon, elle peut parfaitement les avoir brûlés.

— Il faut attendre… il faut attendre… soupira doctement et tristement Miss Tina, et son ton n’apporta que peu de soulagement à mon malaise, car il semblait, après tout, admettre l’horrible possibilité. Je déclarai néanmoins que j’apprendrais à attendre ; d’abord, en premier lieu, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement et, en second lieu, parce qu’elle m’avait promis, l’autre nuit, de m’aider.

— Naturellement, si les papiers ont disparu, je ne pourrai vous servir à rien, dit-elle, non pas comme une personne qui veut se rétracter, mais seulement par excès de conscience.

— Naturellement, mais si vous pouviez au moins être fixée là-dessus ! murmurai-je plaintivement, repris par le frisson de la crainte.

— Je croyais que vous m’aviez promis d’attendre.

— Attendre même cela, voulez-vous dire ?

— Attendre quoi, si ce n’est cela ?

— Ah ! rien, rien du tout ! répondis-je plutôt sottement, honteux d’avouer ce que j’avais sous-entendu, en lui promettant d’être patient : obtenir d’elle peut-être plus et mieux qu’une certitude sur l’existence ou la destruction des papiers.

Je ne sais si elle devina tout cela ; en tout cas, elle sembla trouver convenable de déployer plus de rigueur :

— Je ne vous ai pas promis de la tromper, n’est-ce pas ? Je ne crois pas avoir promis cela.

— Cela n’a guère d’importance que vous l’ayez promis ou non, car vous êtes incapable de tromper !

Vraisemblablement, elle n’eût pas contesté cette déclaration, même si une diversion n’eût été créée par l’apparition de la gondole du docteur, qui enfilait le canal comme une flèche et s’approchait de la maison. Je remarquai qu’il venait aussi rapidement que s’il croyait notre propriétaire toujours en danger. Nous le regardâmes débarquer, puis nous rentrâmes dans la sala pour le recevoir. Quand il arriva, cependant, je laissai Miss Tina s’en aller avec lui, lui demandant seulement sa permission de venir aux nouvelles un peu plus tard.

Je sortis de la maison, et m’en allai loin, aussi loin que la Piazza, où mon agitation refusa de me quitter. J’étais incapable de m’asseoir ; il était très tard maintenant, bien qu’il y eût encore du monde aux petites tables devant le café. Je ne pouvais que malaisément faire le tour de la place ; je le fis cependant cinq ou six fois. Mon seul réconfort était d’avoir dit tout de même à Miss Tina qui j’étais. À la fin, je me décidai à rentrer, je m’égarai graduellement et presque inextricable-