Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/83

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Elle réfléchissait ; je crus qu’elle allait me déclarer que nous avions montré une véritable bassesse de caractère, mais telle n’était pas sa manière, et elle remarqua, après un moment, comme au sortir d’une impartiale et candide contemplation :

— Combien vous devez les désirer !

— Oui, passionnément ! ricanai-je, je dois l’avouer. Et, emporté par l’occasion, je poursuivis, oublieux de la componction de tout à l’heure :

— Comment est-il possible qu’elle les ait elle-même changés de place ? Comment a-t-elle pu marcher ? Comment a-t-elle pu faire un tel effort ? Comment a-t-elle pu soulever, porter quelque chose ?

— Oh ! quand on désire quelque chose et qu’on a une telle volonté ! dit Miss Tina, comme si elle s’était déjà posé la question et ne savait qu’y répondre, sinon qu’en pleine nuit, ou à quelque autre moment de solitude, la vieille femme avait été, en effet, capable d’un effort miraculeux.

— Avez-vous interrogé Olimpia ? Ne l’a-t-elle pas aidée ? N’a-t-elle pas exécuté la chose à sa place ? demandai-je. Ce à quoi mon amie répondit promptement et péremptoirement que leur servante n’avait rien à voir là-dedans, sans admettre toutefois qu’elle ne lui en eût jamais parlé. Il semblait qu’elle fût maintenant un peu intimidée, un peu honteuse de me laisser voir combien elle avait pris de part à mon souci et combien elle pensait à moi. Soudainement, elle me dit, sans chercher de rapport avec ce qui précédait :

— Vous savez, vous me semblez un homme nouveau, maintenant que vous avez un nouveau nom.

— Il n’est pas nouveau ; c’est un bon vieux nom, Dieu merci !

Elle me regarda.

— Eh bien, vraiment, je le préfère !

— Si vous ne le préfériez pas, j’aimerais autant continuer à porter l’autre.

— Vraiment ? Vous le porteriez ?

Je me mis encore à rire, mais je ne fis que cette réponse :

— Naturellement, si elle peut fureter