Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/92

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Elle me raconta comment était morte sa tante, très tranquillement à la fin, et comment tout ce qu’il y avait à faire l’avait été par ses bons amis. — Heureusement, disait-elle, il y avait, grâce à moi, de l’argent à la maison. Elle répéta que quand des Italiens « bien » vous donnent leur amitié, c’est pour toujours, et quand ce chapitre fut épuisé elle m’interrogea sur mon « giro », mes impressions, mes aventures, les lieux que j’avais visités. Je lui racontai le plus de choses possible, les inventant en partie, je crains, car, dans l’état d’agitation où j’avais été, peu de choses m’avaient frappé ; et après qu’elle m’eut écouté, elle s’écria, comme si elle avait entièrement oublié sa tante et son chagrin :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! comme j’aimerais faire des choses pareilles ! partir pour un amusant petit voyage !

Un moment il me vint à l’esprit que je devrais lui proposer une entreprise de ce genre, lui dire que je l’accompagnerais où elle voudrait ; je dis tout au moins que nous pourrions arranger une excursion intéressante, afin de lui changer un peu les idées ; il faudrait y penser, en causer ensemble. Je n’ouvris pas la bouche quant aux papiers d’Aspern, ne posai aucune question sur ce qu’elle avait pu découvrir ou ce qui avait pu en advenir avant la mort de Juliana. Ce n’était pas que je ne fusse sur des épines à leur sujet, mais je trouvais décent de ne pas montrer mon avidité après la catastrophe. J’espérais qu’elle-même en dirait quelque chose, mais elle n’avait pas l’air d’y penser du tout, et, sur le moment, cela me parut naturel.

Cependant, plus tard, dans la nuit, je pensai que son silence donnait lieu à des soupçons ; car si elle s’était intéressée à mon voyage, à une chose aussi éloignée d’elle que le Giorgione de Castelfranco, elle aurait pu faire une allusion à ce qui me troublait tant, ainsi qu’elle devait aisément se le rappeler. On ne pouvait supposer que l’émotion de la mort de sa tante avait effacé tout souvenir de l’intérêt que je portais aux reliques de cette dame, et je m’énervai ensuite quand il me vint à l’esprit que sa réticence signifiait