Page:James Darmesteter - Coup d oeil sur l histoire du peuple juif, 1882.djvu/12

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la dispersion jette les Juifs aux quatre vents du monde, l’historien qui les suit en Arabie, en Égypte, en Afrique et dans tous les pays de l’Europe occidentale, voit encore passer sous ses yeux Mahomet et l’Islam, l’Aristote des Scolastiques et leur philosophie, toute la science du moyen-âge et tout son commerce, les Humanistes et la Renaissance, la Réforme et la Révolution. L’histoire du peuple juif comprend donc et suppose celle de tout le monde méditerranéen, de son premier jour au dernier, et il ne s’agit là que rarement et par accidents de l’histoire politique et matérielle, mais des idées, des religions, des faits sociaux, bref des forces vives de l’humanité. L’histoire de tous les autres peuples, même de ceux qui ont exercé l’action la plus longue et la plus lointaine, ne s’étend qu’à une époque et à un lieu : chacun d’eux paraît et disparaît ; sa destinée n’a eu qu’un temps et il n’a assisté qu’à sa seule histoire ; le peuple juif a duré, et il a assisté à la destinée de toutes les grandes choses qui ont eu leur heure : c’est un témoin perpétuel et universel, et non pas un témoin inactif et muet, mais intimement mêlé comme acteur à presque tous ces drames par l’action et par la souffrance. À deux moments, il a renouvelé le monde : le monde européen par Jésus, le monde oriental par l’Islam, sans parler des actions plus lentes et plus cachées, mais non moins puissantes peut-être ni moins durables, qu’il a exercées au moyen-âge sur la formation de la pensée moderne.

Cette grande histoire ne pouvait se tenter ni s’entrevoir avant ce siècle. Il fallait pour cela deux conditions qui ne commencent guère à se réaliser que de nos jours, l’une d’ordre moral, l’autre matériel. D’une part, comme cette histoire est avant tout religieuse, et, par suite, dans l’état présent des esprits, est un perpétuel appel à la plus irritable de toutes les passions, il fallait que la liberté de penser fût entrée, non seulement dans la loi, non seulement dans les mœurs, mais, chose plus difficile, dans l’intelligence même du savant ; il fallait que la recherche cessât d’être corrompue par l’esprit de secte ou de philosophisme, que l’histoire de la religion cessât d’être un champ de bataille. Certes ceux qui s’occupent de ces études ne sont pas encore tous arrivés à ce degré d’impartialité sereine, où le savant étudie les choses pour comprendre ce qu’elles ont été, et porte assez haut l’orgueil de la pensée pour ne pas se laisser dicter d’avance ses conclusions par les