Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/209

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n’aurait point eu de pierres pour la bâtisse ; il fallait également construire la nouvelle roule carrossable, car sans elle la construction de la nouvelle maison aurait coûté le double. Tout cela fut discuté, prouvé, adopté d’un commun accord.


Quelque disposé que pût être Bakounine, transformé en propriétaire et en architecte, à jeter l’argent par les fenêtres, il éprouva bientôt un certain malaise et conçut de l’inquiétude :


J’avoue que dès ce moment, et même auparavant, je commençai à devenir très inquiet en nous voyant de plus en plus entraînés dans des dépenses dont il était difficile de prévoir la fin. Nous en parlâmes alors avec Cafiero, et il fut décidé entre nous que je prierais l’ingénieur Galli de me donner le compte approximatif des dépenses que j’aurais à faire pour toutes les constructions entreprises. Il m’en donna un, à peu près un mois plus tard, au mois de février si je ne me trompe, mais très incomplet, un compte dans lequel il avait oublié de placer beaucoup de dépenses importantes. Nous prîmes toutefois ce compte pour base, et nous conclûmes avec Carlo que, pour finir tout, il fallait au moins encore 50.000 francs, non italiens, mais suisses. Cafiero m’engagea de ralentir les travaux pendant un mois pour lui donner le temps de réaliser cette somme, après quoi, me dit-il et m’écrivit-il, je pourrais donner un large développement aux travaux.


Et Bakounine raconte comment les calculs de l’ingénieur furent de beaucoup dépassés ; on avait fait contrat, pour la route, avec l’entrepreneur Martinelli, pour 3000 francs, « et grâce à la malhonnêteté de ce monsieur la route nous a coûté près de 6000 francs ». L’ingénieur avait compté, pour la maison, 500 mètres cubes de pierres à extraire du « lac », à 7 francs le mètre, soit 3500 francs : « au lieu de cela, la maison en a dévoré plus de mille mètres ; c’est-à-dire juste le double, soit 7000 francs » ; et tout à l’avenant.


Je voyais tout cela et je ne pouvais l’empêcher, et j’ai passé bien des nuits sans sommeil. Nous en causâmes ce printemps avec Charles, et nous nous sommes avoué qu’ignorants tous les deux de ces choses, nous nous étions laissé entraîner à des entreprises dont nous n’avions pas su calculer la portée, et que, si la chose était à recommencer, nous ne l’aurions pas entreprise, et à la place nous aurions combiné autre chose ; mais maintenant, ajoutait-il, il est impossible de s’arrêter, il faut aller jusqu’au bout.

Lorsque Cafiero m’apporta les 50.000 francs[1], il me demanda si cela suffirait jusqu’en juin. Je lui répondis que cela suffirait jusqu’au delà de juillet...

Voilà, dans ses traits généraux et dans sa vérité la plus scrupuleuse, l’histoire de mes rapports et de mes transactions avec Cafiero jusqu’à son retour de Russie[2].


J’ai maintenant à raconter comment l’atelier coopératif des graveurs et

  1. Cette somme fut remise par Cafiero à Bakounine sous la forme d’une traite au nom d’Adolphe Vogt. Bakounine envoya la traite à son ami, à Berne, le 6 avril, en le priant de la négocier, et d’expédier l’argent à un banquier du Tessin dont il lui donnait l’adresse. (Nettlau, note 3119-94.)
  2. Il s’agit du voyage que Cafiero fit en Russie en juin 1874, voyage dont il sera question un peu plus loin (p. 187).