Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/210

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guillocheurs au Locle, demanda et obtint de Cafiero la promesse d’un appui financier, et comment cette promesse ne fut qu’en partie réalisée

L’atelier coopératif était regardé par nous comme un des points d’appui essentiels de notre action dans les Montagnes. En assurant à quelques-uns de nos militants les plus actifs une situation indépendante, il rendait un service signalé à la propagande et à l’organisation. On a déjà vu comment l’atelier avait accueilli Pindy en septembre 1872. Il en fut de même, en 1874, de l’instituteur espagnol Severino Albarracin, obligé de se cacher depuis les événements d’Alcoy, et que nos amis d’Espagne nous envoyèrent, avec un passeport au nom de Gabriel Albagès, pour le soustraire aux recherches de la police. Le monteur de boîtes François Floquet, qui depuis mai 1873 s’occupait avec zèle de l’administration du Bulletin (dont l’expédition était faite chaque semaine par le travail volontaire des coopérateurs et de quelques autres amis), trouva aussi, à plusieurs reprises, à l’atelier coopératif de l’occupation dans des moments difficiles. Or, un plan avait été formé, dans l’automne de 1873, par les coopérateurs, pour agrandir le cercle de leur activité et donner à leur association une base plus solide : il s’agissait de transporter l’atelier du Locle à la Chaux-de-Fonds, point plus central et où le travail était plus abondant. On aurait acquis, dans le grand village, un terrain sur lequel on aurait construit une maison pour y installer un vaste atelier ; celui-ci serait bien vite devenu, selon les prévisions des coopérateurs, l’entreprise de gravure la plus importante des Montagnes, et aurait contribué plus efficacement que jamais au développement des idées socialistes dans la région. C’est pour cette entreprise que les coopérateurs songèrent à obtenir le concours de Cafiero. Celui-ci avait rapporté de Barletta, en août 1873, une malle pleine de vieille argenterie de famille, et une parure de brillants ayant appartenu à sa mère ; faute de fonds disponibles, il offrit à nos amis les graveurs et guillocheurs cette argenterie et ces diamants L’argenterie fut fondue au Locle, les diamants furent vendus à Genève, en octobre, par Pindy, à la maison Golay-Leresche, quai des Bergues. La somme ainsi obtenue servit à acheter un terrain ; et notre ami Fritz Robert (qui, de professeur de mathématiques, était récemment devenu architecte) fit un plan et un devis s’élevant à une vingtaine de mille francs. Cafiero, qui était venu à Neuchâtel et à Genève dans l’automne de 1873, fut mis au courant du projet, et l’approuva ; toutefois il désira que la question fût discutée avec Bakounine, et demanda à Pindy de se rendre avec lui à Locarno. Le voyage eut lieu en novembre ou décembre. « Je suis allé rejoindre Cafiero à Neuchâtel, — (m’a écrit, le 9 janvier 1908, Pindy, à qui j’ai demandé de rédiger pour moi le récit de ce voyage), — et tu nous as accompagnés à la gare. Nous logeâmes à Lucerne dans un grand hôtel (ce devait être le Schweizerhof), Cafiero prétendant qu’on y était plus à l’abri des mouchards que dans les hôtels inférieurs. Le Gothard franchi, c’est en plein jour que nous arrivâmes à Bellinzona ; après le dîner [déjeuner], Cafiero me dit qu’il ne serait pas prudent de nous rendre directement à la Baronata, et nous allâmes jusqu’à Magadino, de l’autre côté du lac, où Cafiero loua une barque qui nous amena pour ainsi dire sous les murs de la villa. Costa, qui nous avait reconnus sur l’eau, vint au devant de nous et nous aida à porter une malle très lourde qui nous suivait depuis Neuchâtel. On me logea avec Costa, dans une petite construction à l’entrée de la propriété, à gauche, et donnant sur la grande route ; le bâtiment principal était plus loin, du même côté, et abritait non seulement Michel et Cafiero, mais encore cinq ou six personnes, dont au moins deux femmes ; Nabruzzi était du nombre des hôtes. Je passai six ou sept jours à la Baronata ; nous parlâmes de notre projet de construction, que Michel approuva, et Cafiero promit qu’il nous fournirait la somme nécessaire... Au retour, je rencontrai à Göschenen Maxime Vuillaume, du Père Duchesne, qui travaillait alors dans les bureaux de l’entreprise Louis Favre, et il descendit avec moi jusqu’à Altorf ou Fluelen. »

Mais un mois ou six semaines plus tard arriva de la Baronata une lettre de Cafiero annonçant aux coopérateurs qu’il avait changé d’avis. « En janvier, — (continue Pindy), — une lettre nous avertit que nous ne devions plus compter