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Plus tard, j’ai jugé autrement cette lettre de Bakounine. J’ai compris que, désillusionné et fatigué, il avait agi en honnête homme en me faisant part de sa façon d’apprécier la situation, et je lui ai su gré d’avoir voulu, lui, l’enthousiaste, qui avait donné sans marchander toute sa personne à la cause de l’humanité, mettre en garde un jeune homme contre l’entrainement des enthousiasmes irréfléchis.

En juin 1874, Cafiero fit ce voyage de Russie dont à deux reprises déjà j’ai parlé... Voici quel en fut le motif. J’ai raconté qu’Olympia Koutouzof était allée auprès de sa mère pour la soigner. La malade mourut. Aussitôt après, Olympia voulut retourner en Suisse pour y rejoindre son mari ; mais la police russe lui refusa un passeport. Elle l’écrivit à Cafiero, qui se rendit alors à Saint-Pétersbourg pour y faire légaliser son union et faire acquérir ainsi à sa femme la nationalité italienne. Le mariage eut lieu le 27 juin 1874 (n. s.), devant le consul italien de Saint-Pétersbourg ; Mme Cafiero se trouva, par là, soustraite à l’arbitraire de la police russe, et put suivre son mari. Les deux époux repartirent sans tarder pour la Suisse, et arrivèrent à Locarno au commencement de juillet[1]. Nous les y retrouverons.

Pendant que se passaient toutes ces choses, Ross séjournait à Londres ; il s’y était rendu à la fin de 1873, et y avait emporté le matériel de l’imprimerie russe de Zürich. C’est avec ce matériel qu’il imprima, à Londres, dans les premiers mois de 1874, l’étude qu’à sa demande, pour former le n° 3 des Izdania sotsialno-revolioutsionnoï partii, j’avais écrite sur Proudhon, Marx, et le collectivisme de l’Internationale ; elle avait été traduite en russe par Zaytsef, et parut sous le titre de Anarkhia po Proudonou (L’anarchie selon Proudhon). Ross resta à Londres jusqu’en juin 1874 ; à cette date il quitta l’Angleterre, et vint en Suisse, rapportant le matériel de l’imprimerie ; il en confia le dépôt à un ouvrier jurassien de nos amis, Alfred Andrié ; puis il se rendit à Locarno, parce qu’il avait à traiter avec Bakounine de diverses affaires, entre autres de la publication d’un second volume de Gosondarstvennost i Anarkhia. Nous le retrouverons à la Baronata au chapitre suivant.



VIII


De mai 1874 au VIIe Congrès général de l’Internationale, à Bruxelles,
7 septembre 1874.


En Espagne, la guerre civile continuait. Le maréchal Serrano, chef du nouveau pouvoir exécutif, fit éprouver aux carlistes, en mai 1874, un échec devant Bilbao ; ce succès militaire du « dictateur » fut le signal d’un redoublement de rigueur contre les divers partis populaires. On nous écrivait d’Espagne : « Les sections de l’Internationale continuent à fonctionner comme par le passé. Cependant la persécution va toujours son train ; il y a plus de cinq cents internationaux dans les prisons de l’État, mais cela n’a pas refroidi l’ardeur des persécutés... L’esprit du peuple incline de plus en plus en notre faveur. Désabusé, il vient à nous. Le manifeste de la Commission fédérale a produit dans les masses une bonne impression. » Un journal clandestin, las Represalias, prêchait l’insurrection : « Grâce à l’ambition, à la stupidité et à la mauvaise foi des bourgeois, — disait-il, — nous nous voyons obligés de songer à la révolution immédiate, à laquelle nous n’aurions jamais pensé auparavant. Puisqu’ils la veulent et qu’ils nous y poussent, qu’elle soit ! » Voici quelques nouvelles données par le Bulletin (7 juin, 21 juin et 19 juillet) : « Les assassinats commis par le gouvernement à San Fernando (près de Cadix) crient ven-

  1. Je prends ces détails dans deux lettres que m’a écrites Mme Olympia Koutouzof-Caliero à la date du 2 septembre 1907 et du 21 avril 1908.